Carole Fréchette : La peur de l’autre en soi
Carole Fréchette fait son entrée au Théâtre du Nouveau Monde avec La Petite Pièce en haut de l’escalier, un texte qui sonde les aspirations et les peurs les plus viscérales.
Le point de départ de cette nouvelle pièce de Carole Fréchette, mise en scène par Lorraine Pintal, c’est La Barbe bleue, un conte de Charles Perrault publié en 1697. Dans cette première version française du mythe de Barbe-Bleue, une jeune femme est punie de sa curiosité pour avoir pénétré, malgré la défense de son redoutable mari, dans un cabinet mystérieux où sont enfermés les corps des six épouses qu’il a tuées. Le terrifiant personnage de Barbe-Bleue, créé sans doute à partir de celui de Gilles de Rais, ce compagnon de Jeanne d’Arc qui sacrifia des centaines d’enfants, a inspiré de nombreux artistes. Après Béla Bartók, Maurice Maeterlinck et Anatole France, c’est au tour de Carole Fréchette de pousser son héroïne vers La Petite pièce en haut de l’escalier.
"À un moment donné, explique l’auteure, je me suis retrouvée dans une situation où je pouvais tout faire. Tout, sauf ce que j’avais vraiment envie de faire." Parfois, c’est bien connu, même quand une foule d’options s’offrent à nous, l’attrait du danger ou de l’interdit demeure plus fort. C’est à ce moment que le conte de Perrault s’impose à la dramaturge. "Je suis allée relire le conte et je l’ai beaucoup aimé. J’ai été tout de suite fascinée par cette idée de la pièce interdite, mais aussi par celles du manque et de l’abondance. Comment peut-on habiter une si grande maison, avoir accès à tout, mais n’avoir envie que d’aller dans cette petite pièce mystérieuse qui nous est interdite? C’est là que tout à coup est apparue l’image d’une jeune femme devant une porte fermée. Ça a commencé comme ça!"
CONTE DE FEES
Grâce (Isabelle Blais) vit un conte de fées. Henri (Henri Chassé), un homme beau, séduisant et riche, lui a proposé le mariage après quelques mois de fréquentation. Il lui offre le luxe des voyages et de ses multiples propriétés, dont celui d’une immense maison de 28 pièces. Ces noces ont comblé les rêves de la mère de Grâce, Jocelyne (Louise Turcot), issue d’un milieu modeste, et ont nourri la rage de sa soeur Anne (Julie Perreault), mariée à un homme plus humble et qui consacre ses énergies à des actions communautaires. Grâce est heureuse dans sa nouvelle maison, en compagnie de la bonne, Jenny (Tania Kontoyanni), qui répond à tous ses désirs. Il y a toutefois une condition au bonheur de Grâce. Henri lui a demandé de ne pas ouvrir la porte de la petite pièce en haut de l’escalier, qui est son refuge, son antre, sa chambre secrète.
Mais qu’y a-t-il de si redoutable et de si attrayant dans cette petite pièce? "C’est une situation de départ qui m’excitait, que je trouvais forte, avoue Fréchette. Moi-même, je ne savais pas trop ce qu’il y avait derrière la porte quand j’ai commencé à écrire." Une chose est certaine, la métaphore est riche. Derrière cette porte, il y a les désirs patiemment enfouis, les douleurs les plus viscérales, les peines les plus profondes. Tout ce qu’on veut bien y projeter en fin de compte. "Il y a beaucoup de façons de l’interpréter, assure Fréchette. Ce n’est pas mon travail de le faire. C’est une pièce que j’ai écrite d’une manière très intuitive. D’une certaine façon, de toutes mes pièces, c’est peut-être celle que je comprends le moins. C’est comme si j’avais ouvert en moi une petite porte vers un endroit moins rationnel, plus sombre, et que j’étais allée dans ces recoins."
Du 4 au 29 mars
Au TNM
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UNE AMBASSADRICE
Seule auteure québécoise à avoir remporté le prestigieux prix Siminovitch, la plus haute récompense décernée à un artiste de théâtre au Canada, traduite dans pas moins de 14 langues, Carole Fréchette a été jouée du Liban à l’Islande, du Sénégal à la Biélorussie, et même en Palestine, où sa pièce Le Collier d’Hélène a été présentée récemment. Elle est non seulement l’un de nos plus grands auteurs de théâtre, elle est devenue au fil des années une ambassadrice du Québec à l’étranger. Le 3 mars, de 19 h 30 à 21 h 30, à l’Université de Montréal, Diane Pavlovic trace le parcours symbolique de la sulfureuse légende de Barbe-Bleue. Le 10 mars, Carole Fréchette et Lorraine Pintal dévoilent l’histoire de la création de La Petite Pièce en haut de l’escalier. Inscription: 514 343-2020. Le 19 mars, à la Grande Bibliothèque, Carole Fréchette initie la série Théâtre à lire. Il y aura une rencontre avec l’auteure et une mise en lecture de son oeuvre.