Louis-José Houde : Plus que parfait
Au-delà de sa caricature de bouffon hyperactif, Louis-José Houde est surtout un infatigable bosseur, un artisan appliqué, un maniaque du détail qui ne laisse rien au hasard et considère le métier de faire rire avec le plus grand sérieux.
Pour ses 30 ans, Louis-José Houde s’est payé le luxe d’un spectacle que vous ne verrez pas, pour lequel il n’y aura pas de tournée. Un cadeau offert à lui-même et à ses admirateurs les plus fidèles, entièrement composé de monologues retranchés de son second solo intitulé Suivre la parade.
"Je me suis retrouvé avec un beau problème, explique l’humoriste, c’est-à-dire que j’avais énormément de matériel écrit, mais quand la ligne directrice du nouveau spectacle s’est confirmée, ça éliminait beaucoup de numéros, simplement parce qu’ils ne "fittaient" pas. Alors on a organisé deux spectacles à Montréal et un à Québec, où j’ai fait ces monologues-là qui n’avaient plus leur place."
Mis en vente sur son site Internet, donc réservé à un public d’inconditionnels, le spectacle trouve 2200 preneurs au total, dont 1300 en… une seconde. "Il y a 750 personnes qui ont pesé sur send en même temps pour acheter leur billet", détaille son attachée de presse, Houde ayant raconté plus tôt que le phénomène avait fait ployer le serveur du site qui, on le devine, a littéralement planté sous le poids de la demande.
L’humoriste ne se gargarise pas avec l’anecdote, mais en tire plutôt un certain amusement, et sans doute aussi une fierté parfaitement méritée. Hyper-exigeant envers lui-même, Houde connaît bien le coût humain de sa réussite: une obsession du détail, un boulot harassant d’essai-erreur, l’angoisse du second spectacle après le succès du premier. Une angoisse qu’il parvient justement à sublimer dans le travail, déployant un effort invisible qui le place cependant dans les meilleures dispositions à la veille des soirs de première.
EN QUÊTE DE PERFECTION
Accoudé à une table de restaurant, l’humoriste déballe ses réponses avec cette même assurance qu’on avait remarquée chez lui cinq ans plus tôt, lors de notre première rencontre. Même simplicité, même ouverture, même affabilité. Et pourtant, entre 2003 et aujourd’hui, son monde a littéralement basculé.
Depuis la dernière fois où on l’a rencontré, à l’aube de son premier one man show, Louis-José Houde est passé du statut de révélation à celui d’artiste établi. Cinq cents représentations de son spectacle au compteur, vaste campagne publicitaire pour l’épicier Loblaws, animation du spectacle de la Saint-Jean sur les Plaines (avec Patrick Groulx), obtention d’un Félix au Gala de l’ADISQ – qu’il animera par la suite à deux reprises -, récompenses aux Olivier (meilleur numéro et meilleur spectacle), animation de l’hilarante émission Ici Louis-José Houde à Radio-Canada… Un parcours sans faute qui met en lumière un instinct redoutable pour aligner les bons plans tout en surfant à la frontière de la surexposition. Aussi, on ne peut s’empêcher de pouffer de rire lorsqu’il annonce que son nouveau spectacle porte sur l’échec.
"Je ne peux pas dire que je suis malheureux, se défend-il tout de suite. Mais je pense que je suis un peu plus malchanceux que la moyenne, donc, pour moi, une bad luck en attire trois ou quatre autres. Écrit à une période où ça n’allait pas très bien, le show tourne donc autour de choses qui ont planté pour moi. De l’achat d’un micro-ondes à la fin pitoyable d’une relation amoureuse. J’y glisse encore quelques observations du quotidien, mais dans l’ensemble, c’est un spectacle beaucoup plus personnel que le précédent. La parade [du titre du spectacle], c’est le quotidien, les amis, la blonde, ces choses-là, et moi, j’ai eu pas mal de misère à suivre cette parade-là", confie-t-il. Des échecs sans doute difficiles à prendre, surtout pour un type en quête de perfection.
CENT FOIS SUR LE MÉTIER
Coulisses de la Place des Arts, Montréal. Afin de garnir le disque d’extras qui accompagne le DVD de son premier spectacle, une caméra suit Houde pendant l’entracte de la 500e et dernière représentation d’un one man show qu’il a précédemment trimballé aux quatre coins de la province, de Gatineau à Fermont. Arrivé dans sa loge, l’humoriste paraît agacé. Tout n’est pas parfait dans ce moment, sans doute fantasmé, qu’il souhaitait sans faille. Impitoyable juge de son propre travail, il s’accuse de manquer de rythme et, à demi-mot, d’être en train de tout faire foirer.
"C’est probablement le meilleur exemple que tu pouvais trouver", s’esclaffe l’humoriste qui avoue que sa recherche de perfection le pousse parfois à emprunter à une sorte de comportement maniaque. Ce qui explique sans doute sa fascination pour l’échec, aussi ridicule puisse-t-elle paraître lorsque celui-ci est placé à côté de la montagne de distinctions et de réussites récoltées depuis les débuts.
Il se défend par ailleurs de cultiver l’insatisfaction de manière malsaine. "J’aime beaucoup trouver les imperfections, avoir à travailler les choses, mais à un moment donné, c’est assez. Tu vois, la première partie de mon nouveau spectacle, j’en suis très content. Je ne te dis pas que c’est parfait, mais je l’aime comme ça."
Atteindre ce degré de satisfaction a cependant un prix. Celui d’un colossal travail de préparation que ne laisse jamais deviner une livraison naturelle, où l’effort ne doit jamais paraître. "Je veux que, sur scène, ça donne l’impression aux gens que j’improvise ça. C’était la force d’Olivier Guimond et d’autres, de livrer des numéros qui avaient l’air complètement improvisés mais où tout était prévu."
"Dans mes shows, poursuit-il du même souffle, tout est placé. Chaque numéro est écrit à la double croche près, mes "respirs" sont placés. Il faut maximiser l’efficacité comique, qu’il y ait le moins de temps possible entre chaque rire sans pour autant faire un gag seulement pour faire un gag. C’est un travail excessivement long, que plusieurs trouvent plate mais qui, moi, me passionne." Après une pause, il ajoute, comme pour se justifier: "C’est peut-être juste de l’humour que je fais, mais c’est ça, ma job."
De cette somme de travail que l’homme s’impose, de cette recherche de perfection, émerge une forme de gratitude. La conscience aiguë d’un humoriste qui mesure sa chance de faire ce qu’il aime: écrire, raconter, déconner. Toucher les gens, les faire rire.
"C’est une des choses que j’aime le plus dans l’humour: quand les gens te trouvent drôle parce que tu leur as simplement parlé de choses importantes pour toi, mais qui les rejoignent aussi… On a vraiment un contact extraordinaire avec les gens dans ce métier-là, tu sais."
Du 28 février au 1er mars à 20h
Supplémentaires les 13 et 14 mai
Au Centre culturel de l’Université de Sherbrooke
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LA MAUVAISE RÉPUTATION
On a vite senti l’agacement, chez Louis-José Houde, d’être cantonné au rôle de "l’humoriste qui parle vite", bien que l’étiquette ait largement contribué à son succès. Aussi, lorsqu’on lui demande ce qu’il souhaitait éviter avec ce second spectacle, ou, plus directement, un aspect de son précédent solo qu’il ne voulait surtout pas reconduire, la réponse arrive sans surprise. "Mon numéro d’introduction du premier show avait été écrit de manière à être fait très rapidement. C’était très speedé, comme une toune de Rush", dit-il en étayant son propos d’un de ses proverbiaux moments de cabotinage. Il mime ici un rythme de batterie effréné. "Il y avait un côté un peu performance dans ce numéro-là, et c’était celui que j’étais tanné de faire à la fin. Lui, il m’"énarvait", insiste-t-il. Parler vite, c’est accessoire, même que ça me nuit parce que les gens disent: il parle trop vite. Mais ce n’est pas vrai. Je m’excuse, là, mais si t’as vu un de mes shows en salle, tu ne manques pas un ostie de mot. Je me réécoute souvent, et mon débit n’est pas plus vite que celui de qui que ce soit d’autre. Bon, en entrevue, à la télé, il arrive que je m’excite un peu, convient-il, mais en salle, quand c’est écrit, que c’est placé, c’est compréhensible. Peut-être que je me plains le ventre plein, j’ai du monde dans la salle, c’est plein tout le temps, mais ça m’énerve, cette image-là, cette réputation-là. En même temps, c’est comme ça, on ne peut rien y faire, je suis le gars qui jase vite, ça a l’air. Mais pour ce spectacle-là, je ne voulais surtout pas faire de numéro-performance." On comprend pourquoi.