Marie Gignac et Hugues Frenette : Morceaux de bravoure
Scène

Marie Gignac et Hugues Frenette : Morceaux de bravoure

Marie Gignac et Hugues Frenette, après avoir rencontré Sartre l’hiver dernier, font une incursion chez Edmond Rostand. Ils y explorent un monument nommé Cyrano de Bergerac.

Au départ, réactions fort différentes devant ce projet. Marie Gignac, dont c’est la septième mise en scène, s’étonne à la proposition de Gill Champagne. "J’ai fait "Es-tu malade? Moi, Cyrano?"J’ai jamais monté de classique; j’ai toujours travaillé des écritures plus contemporaines. J’ai relu la pièce et il y avait des trucs qui m’agaçaient, franchement. Ça a été long avant que je dise oui: j’étais pas capable de me projeter là-dedans. Et c’est en travaillant qu’est venu le coup de coeur."

Hugues Frenette a découvert la pièce de Rostand à travers Gérard Depardieu, qui campait un Cyrano inoubliable dans le film de Rappeneau. "C’est un personnage que j’ai connu au cinéma, en 1990; j’avais 15 ans, et je ne connaissais pas cette histoire avant de voir le film. Ça m’a énormément touché et, probablement, beaucoup aidé, sur plusieurs plans. La difficulté de dire qu’on aime quand on aime, parce qu’on craint le rejet, c’est quelque chose qui te parle énormément quand t’es adolescent. Et j’étais aussi, en toute franchise, tombé amoureux d’Anne Brochet, qui incarnait Roxane; ça m’a pris des jours à m’en remettre. C’est peut-être mon premier coup de foudre…"

Surprise, incrédulité, donc, quand Marie Gignac lui offre le rôle. Et bonheur, bien sûr, qu’il partage avec toute l’équipe "dévouée, généreuse".

UN GRAND PERSONNAGE

Pièce d’Edmond Rostand créée en 1897, Cyrano de Bergerac se passe presque de présentation. Histoire d’amour admirable et déchirante, texte en vers d’une grande vivacité, aux images suaves, aux rythmes enlevants, personnages colorés : autant d’éléments qui en font la renommée. Tous connaissent les amants Roxane et Christian, jeunes et beaux, et bien sûr, le grand Cyrano, aussi vivant dans l’imaginaire que Roméo, Juliette ou Dom Juan, archétype de l’amour généreux jusqu’à l’abnégation, de la droiture, de la verve pétillante.

"Dans le répertoire classique mondial, j’ai l’impression que c’est une des pièces les plus connues, avance Marie Gignac. Tout le monde sait c’est qui, Cyrano: c’est le gars avec un grand nez qui se trouve pas beau et qui aime en silence la belle Roxane, tout en aidant Christian à la conquérir."

Mais à quoi tient, justement, la célébrité particulière de ce personnage? À ses valeurs, son audace, son malheur?… "C’est probablement un peu tout ça, réfléchit la metteure en scène. Quel est l’être humain qui n’a jamais éprouvé un sentiment tout en étant incapable de l’avouer, ne se sentant pas digne, pas assez bien ou assez beau pour gagner l’amour de l’autre? Et c’est pas juste sur le plan amoureux, c’est aussi face à certains défis de la vie. Cyrano tait son amour pendant des années: c’est sa dignité qu’on admire, sa fidélité à ses sentiments, sa bravoure en même temps que sa timidité, parce qu’il est courageux mais lâche, aussi. Il est dans le paradoxe tout le temps: dans la provocation, dans l’humilité, dans un flot de paroles et dans le silence le plus total face à l’amour qu’il ressent. Et ça, j’ai l’impression qu’en tant qu’être humain, on se reconnaît là-dedans; et c’est comme s’il parlait à notre place. Il nous donne des permissions, et il nous pardonne bien des affaires…"

"Et c’est un être authentique, enchaîne Hugues Frenette, auquel plusieurs s’identifient. Il a des valeurs de rectitude, de franchise, d’honnêteté, et c’est un homme de parole: il lutte contre la sottise, la lâcheté, les compromis, le mensonge. Il est brave pour tout, sauf pour la sphère intime."

DES DEFIS

La pièce pose de grands défis de mise en scène : par le nombre de personnages, le nombre de lieux, la longueur du texte. Marie Gignac, pour endiguer le flot, a dû procéder à quelques aménagements. "Des quatre heures que dure habituellement la représentation, j’ai coupé pas loin d’une heure et demie. J’ai enlevé tout ce qui me semblait superflu, moins intéressant ou moins accessible au spectateur d’aujourd’hui. Alors on est dans l’histoire d’amour et dans l’action. Mais j’ai gardé l’alexandrin. C’était très important pour moi: c’est ça qui fait la musique de la pièce. La pièce se déroule dans cinq décors: on a choisi un décor unique, à la fois évocateur et concret, moderne. Et pour faire une soixantaine de personnages, sans compter les foules, on a 12 acteurs. Mais une partie du travail s’est fait en coupant, et j’ai fondu des personnages. Ça fonctionne très bien."

Défis d’interprétation, aussi, pour les acteurs jouant plusieurs rôles, et pour celui incarnant le personnage principal: le rôle de Cyrano, un des plus longs du répertoire, comptant 1600 vers. "Au-delà de l’aspect défi pour l’acteur, ce qui m’intéresse, dans Cyrano, c’est de transmettre ce texte magnifique, en étant sincère, proche des spectateurs, expose Hugues Frenette. Que le public l’entende véritablement, soit habité par ça."

DES ATTENTES

Avant même de commencer, la production connaît un grand succès: billets vite envolés, supplémentaires, organisation d’une tournée. "C’est sûr que ça met un peu de pression, avoue Marie Gignac. Tout le Québec veut la pièce, avant même de l’avoir vue. L’angoisse, c’est la peur de décevoir tout le monde qui attend ça; mais nous, faut se dire que c’est notre Cyrano, à nous aussi. On a été très respectueux de l’oeuvre et on l’a approchée simplement, avec nos sensibilités personnelles, aujourd’hui…"

"J’ai l’impression que dans ce genre d’aventure, il y a quelque chose qui est susceptible d’arriver, poursuit le comédien. Je sais pas comment appeler ça, mais on a l’impression que c’est nécessaire de faire ce type de spectacle. Et que c’est un privilège d’emprunter ces mots-là et de les faire entendre, comme si c’était quelque chose de très précieux. À mon sens, on touche ici au sublime en ce qui a trait à l’écriture; c’est une pièce qui est accompagnée d’une aura incroyable, et qui touche à quelque chose de très simple, de très juste. Et ce qui en ressort… c’est grandiose."

"En travaillant, on a encore des surprises, termine Marie Gignac. Pour moi, c’est de découvrir, et de continuer de constater, jour après jour, à quel point c’est brillant, c’est beau, c’est touchant, c’est inspirant. La beauté de cette pièce-là, je la méconnaissais. Mais en rentrant dedans, on ne peut qu’en saluer le génie: le génie de la langue, de l’intrigue. En même temps, l’universalité de cette histoire, extraordinairement habile et extraordinairement simple. C’est une oeuvre vraiment complète, un organisme extrêmement cohérent; c’est comme une bulle, c’est un univers."

Du 4 au 29 mars
Au Grand Théâtre
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Nous tenons à remercier Emmaüs pour leur aimable collaboration.