Nacho Duato : Une autre Espagne
Après l’immense vague de flamenco portée par le Festival Montréal en lumière, Danse Danse nous invite à savourer la danse contemporaine espagnole avec trois oeuvres récentes du chorégraphe Nacho Duato.
Originaire de Valence, dans le sud de l’Espagne, Nacho Duato quitte la péninsule ibérique à l’âge de 18 ans pour débuter sa formation en ballet à Londres. De là, il rejoint l’école de Maurice Béjart à Bruxelles, puis celle d’Alvin Ailey à New York. Interprète talentueux, il a 24 ans quand Jirí Kylián l’intègre au Nederlands Dans Theater où il dansera pendant 10 ans, s’imprégnant du style de son maître et subissant les influences de deux autres chorégraphes contemporains majeurs, Mats Ek et William Forsythe. Dès sa première chorégraphie, Jardí Tancat, le jeune artiste affiche une écriture contemporaine pétrie de gestuelle classique qui, avec le temps, se teintera de nuances ethniques et folkloriques.
"C’est sûr qu’en 25 ans, mon style a beaucoup évolué, déclare le chorégraphe rencontré durant sa tournée nord-américaine. Je dis toujours qu’avant, mon travail était une fenêtre ouverte sur le monde et qu’aujourd’hui, il est plutôt une porte ouverte sur moi-même. Mon travail est plus mature, plus intime, plus profond. Ça se remarque dans les thèmes des ballets, dans l’ambiance, dans la musique et dans mon langage chorégraphique, qui a évolué en fonction de ce que m’ont inspiré les différents danseurs qui ont défilé au sein de la compagnie."
La maturation s’amorce en 1990, quand Duato se voit invité à Madrid pour assurer la direction artistique de la Compañía Nacional de Danza jusqu’alors dirigée par des artistes de souche très classique. Il lui donnera une identité plus moderne en y développant ses talents. "Les danseurs de la compagnie sont des merveilles, ils sont là depuis longtemps, et j’avoue que j’ai la compagnie que j’ai toujours voulu avoir", commente celui dont les oeuvres figurent au répertoire de nombreuses grandes compagnies de par le monde. Reconnus pour leur virtuosité et leur engagement total, les 30 interprètes de la compagnie sont les principales sources d’inspiration pour la gestuelle.
"Je ne pense jamais à des mouvements avant d’entrer en studio, affirme le chorégraphe. Je n’aime pas ça. Je suis comme un sculpteur qui démarre avec la matière: je commence la pièce dans le studio à même les danseurs. Par contre, je prépare la musique et je mûris pendant un an et des poussières l’idée de la chorégraphie. Pour Castrati, par exemple, j’ai joué pendant au moins huit ans avec l’idée de faire quelque chose avec le Stabat Mater – Salve Regina de Vivaldi." Particulièrement inspiré par la spiritualité de la musique pour cordes, qu’elle soit baroque, ancienne ou contemporaine, le Madrilène nous avait d’ailleurs présenté Multiplicité, Formes du silence et du vide sur la musique de Bach, en 2001. Deux des pièces présentées cette fois à Montréal s’inspirent de la musique pour cordes du compositeur contemporain gallois Karl Jenkins.
DE LA JOIE A L’ENFER
Pour le 10e anniversaire de la série Danse Danse, les codirecteurs artistiques Clothilde Cardinal et Pierre Des Marais ont soigneusement choisi les oeuvres au programme de la soirée. À Castrati et White Darkness, pièces pour 10 danseurs et moins pouvant être données sur tout type de scène, ils ont ajouté Txalaparta (du nom d’un instrument traditionnel basque utilisé dans les cérémonies de la fabrication du cidre), oeuvre pour 14 interprètes qui nécessite un aussi grand plateau que celui de la salle Wilfrid-Pelletier et dont nous aurons l’exclusivité nord-américaine. "J’aime beaucoup la musique de la txalaparta, qui est très rythmique avec beaucoup de percussions différentes, précise Duato. La pièce est totalement inspirée de la musique [interprétée ici par Kepa Junkera et le groupe Oreka Tx], il n’y a aucun message. Elle est donc très technique, très virtuose, avec des mouvements très rapides. On s’intéresse juste à la connexion du corps avec la musique et pour le spectateur, c’est surprenant."
Livrée en ouverture de la soirée, cette oeuvre est suivie d’une étude sur les castrats qui, pour être adulés, devaient sacrifier leur virilité. Vient ensuite une évocation de l’enfer de la toxicomanie où une jeune femme succombe à la drogue, symbolisée par un homme vêtu de noir ou par une pluie de sable tombant des cintres. Dans tous les cas, la scénographie est l’oeuvre de l’Austro-Iraquien Jaffar Chalabi. "C’est un architecte avec qui je collabore depuis 1999 et qui ne travaille avec aucun autre chorégraphe, explique Duato. J’aime beaucoup son travail parce qu’il apporte des choses nouvelles à la danse du fait qu’il vient d’une autre discipline. Souvent, ses scénographies sont très architectoniques et mouvantes. Elles ne sont pas statiques. Dans Txalaparta et dans White Darkness, ça bouge tout le temps, vous verrez!"
Du 6 au 8 mars
À la Salle Wilfrid-Pelletier de la PdA
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