Brigitte Haentjens : Champ de bataille
Scène

Brigitte Haentjens : Champ de bataille

Sous l’égide de sa compagnie, Sibyllines, Brigitte Haentjens met en scène Blasté de la controversée dramaturge britannique Sarah Kane.

Lors de sa création à Londres, en 1995, Blasted a suscité de violentes réactions dans les médias qui ont été nombreux à conspuer l’auteure de 24 ans, l’accusant notamment de banaliser la violence. Ici, l’oeuvre n’a pas attendu de prendre l’affiche pour faire couler de l’encre. L’image promotionnelle du spectacle – sur laquelle apparaît un homme ensanglanté – a été jugée trop violente par la STM qui a refusé de la placarder dans le métro de Montréal, provoquant du même coup la grogne des artisans de la production. Mais si l’affiche a été censurée, la pièce, elle, sera bel et bien présentée à l’Usine C. Dans une traduction de Jean Marc Dalpé et sous la houlette de Brigitte Haentjens, Roy Dupuis, Céline Bonnier et Paul Ahmarani nous entraînent dans cette dérangeante descente aux enfers.

La pièce met en scène un couple évoluant dans une chambre d’hôtel à Leeds, en Angleterre. Le duo est composé de Ian (Dupuis), un journaliste d’une quarantaine d’années, et de Cate (Bonnier), une jeune fille d’une grande fragilité émotive. "Leur relation trouble est remplie de violence, d’intimidation, d’abus et de dépendance, soutient Haentjens. On a d’abord l’impression qu’il y a un oppresseur et une victime, mais ce n’est pas aussi simple. Pourquoi Cate accepte-t-elle de rester là? Sa passivité est troublante." Puis, l’oeuvre effectue un rapprochement entre les combats intimes qui minent nos vies et ceux guerriers qui ravagent la planète. "Un soldat d’une guerre perdue (Ahmarani) fait irruption dans la chambre. On ne sait pas d’où il vient. Son entrée fait basculer la pièce dans un paysage plus irréel et global, politique et apocalyptique. Tout à coup, la chambre d’hôtel de Leeds pourrait très bien être à Beyrouth ou à Bagdad. J’ai l’impression que Kane a voulu exprimer l’idée que notre comportement intime a des conséquences planétaires", avance Haentjens.

Lorsque Kane écrit la pièce, en 1992 – sept ans avant son suicide -, ce sont, semble-t-il, ses préoccupations concernant la guerre de Bosnie qu’elle tente de mettre en relief. "Elle était très troublée par l’indifférence avec laquelle le conflit était traité dans la presse. On a l’habitude de regarder les images défiler en direct à la télé, mais il ne se passe rien et on oublie vite. On a vécu le même phénomène avec le Rwanda et on le vit aujourd’hui avec Bagdad", déplore celle qui a remporté le Prix Siminovitch en octobre dernier.

Après avoir exploré l’univers féminin sous ses coutures les plus obscures, (La Cloche de verre, Tout comme elle, Vivre), Haentjens pénètre le monde de Kane. "Ça fait longtemps que je m’intéresse au théâtre de Sarah Kane, mais je n’aurais pas monté ce projet sans mes interprètes actuels. Pour jouer cela, ça ne prend pas seulement des bons comédiens. Ça prend des êtres humains capables de s’investir et de se mouiller". En plus de renouveler pour une sixième fois la collaboration artistique entre Bonnier et Haentjens et de permettre la rencontre avec Ahmarani, cette production marque le retour sur les planches de Roy Dupuis. "Roy pourrait jouer tellement de rôles au théâtre… Le fait qu’il défende une parole comme celle-là, ce n’est pas rien", commente Haentjens.

Évidemment, une question s’impose: comment représenter la violence physique, morale et sexuelle sans risquer de s’y complaire? "On a d’abord questionné la pièce de façon plus intellectuelle et sociale, en discutant de l’état du monde. Puis, je me suis aperçue que la seule façon d’aborder l’oeuvre était de montrer le côté cru des choses. J’ai essayé d’entrer avec vérité dans ce que Kane avait elle-même mis en scène. C’était vulnérabilisant pour moi parce qu’il y avait très peu d’espace pour l’écriture scénique. D’habitude, j’ai une grande maîtrise de tout. Ici, je me suis appuyée sur l’action de la pièce."

Du 18 mars au 5 avril
À l’Usine C
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