Jean Anouilh : De toutes pièces
Après Cocteau, Genet et Sartre, ses contemporains, Jean Anouilh trouve finalement sa place dans la Bibliothèque de la Pléiade.
Pour présider à son entrée dans la Bibliothèque de la Pléiade, Jean Anouilh n’aurait pu rêver mieux que Bernard Beugnot. En effet, né à Paris en 1932, professeur au Département d’études françaises de l’Université de Montréal, spécialiste du théâtre de Jean Anouilh, mais aussi de l’oeuvre d’Hubert Aquin et de Francis Ponge, l’homme n’a pas fait les choses à moitié.
Ce n’est pas un mais bien deux tomes qui sont consacrés au théâtre du prolifique écrivain dans la prestigieuse collection des Éditions Gallimard. Beugnot a retenu, présenté et annoté 34 des 47 pièces qui ont été créées à la scène. Rappelons qu’Anouilh, né à Bordeaux en 1910 et mort à Lausanne en 1987, est l’auteur de plus de 70 textes dramatiques. Le tome I contient des oeuvres écrites et créées entre 1929 et 1951; le tome II, des oeuvres écrites et créées entre 1953 et 1978.
Pendant plus d’un demi-siècle, le théâtre d’Anouilh – mythologique, historique, contemporain, politique ou, comme le disait l’auteur lui-même, rose, noir, brillant ou grinçant – a joui d’une exceptionnelle réception sur les scènes françaises et internationales. Jean-Louis Barrault, Michel Bouquet, Pierre Brasseur, Edwige Feuillère, Suzanne Flon, Laurence Olivier, Ludmilla Pitoëff, Madeleine Renaud et Jean Vilar ne sont que quelques-uns des grands acteurs qui l’ont joué. Pourtant, peu d’oeuvres ont été aussi mal jugées par la postérité. Conservatrice, bourgeoise et boulevardière sont les qualificatifs qui reviennent le plus souvent. Peu monté en France, le théâtre d’Anouilh ne l’est pour ainsi dire plus du tout au Québec.
Selon les spécialistes, il y aurait plusieurs raisons à cela. L’anticonformisme social, politique et culturel de l’auteur y serait pour quelque chose. Aussi, la célébrité extraordinaire d’Antigone aurait occulté le reste de l’oeuvre. Enfin, le recours aux formes et à certains procédés du théâtre de boulevard aurait dissimulé la vraie nature d’un théâtre essentiellement poétique. Selon Jean-Pierre Énard, qui signe l’entrée consacrée à Jean Anouilh dans l’Encyclopédie Universalis, cette dramaturgie finira bien par révéler sa modernité: "Lorsque le temps aura débarrassé son théâtre des scories boulevardières ou politiques, on situera mieux Anouilh, entre les virtuosités de Giraudoux et le désespoir des absurdes."
TOUTE UNE VIE VOUEE AU THEATRE
Contrairement à Montherlant, Genet ou Sartre, Anouilh n’a pratiquement laissé que des textes de théâtre et des réflexions qui s’y rapportent. Selon Beugnot, les écrits parallèles permettent "de saisir la complexité de l’homme qui s’est entièrement investi dans l’invention dramatique". Ainsi, la section "Appendices" des deux volumes (offerts individuellement ou sous coffret) rassemble des textes, des programmes et des entretiens, mais aussi des notes préparatoires, des scènes inédites et des variantes importantes. Une vraie somme. En révélant des archives jusqu’ici méconnues, cette entrée dans la Pléiade devrait, à en croire Beugnot, "réhabiliter un dramaturge dont l’univers imaginaire peut encore parler aux consciences modernes hantées par l’incommunicabilité des êtres, la théâtralisation de l’existence et l’angoisse du temps".
Et si c’était vrai. Si les années avaient travaillé pour l’auteur de L’Alouette, du Voyageur sans bagage, des Poissons rouges et de La Répétition. Convaincu, Beugnot nous invite à relire Anouilh "avec le nouveau regard que permettent aujourd’hui les deux décennies écoulées depuis sa mort". Qui sait, avec toute la conviction que l’homme a placée dans la réalisation de ces deux tomes, il se pourrait bien qu’une nouvelle génération trouve ses repères dans le legs d’Anouilh.
Théâtre
de Jean Anouilh (édition établie, présentée et annotée par Bernard Beugnot)
Éd. Gallimard, coll. "Bibliothèque de la Pléiade", 2007, 1504 p. (tome I) et 1584 p. (tome II)
LES VOIX DE JEAN ANOUILH
Jean Anouilh était un remarquable lecteur de ses pièces. En 1961, il a été enregistré alors qu’il donnait une lecture de sa pièce Antigone. C’est cet enregistrement tout à fait exceptionnel que les Éditions Gallimard proposaient en 2004 dans la collection "À voix haute". C’est un vrai bonheur que d’entendre l’auteur donner vie à tous ses personnages, imaginant pour chacun d’eux une voix, un débit, une charge émotive bien particulière. En introduction, Suzanne Flon raconte ses souvenirs de la création d’Antigone, en 1944, au Théâtre de l’Atelier, dans une mise en scène d’André Barsacq. Elle y jouait Ismène auprès de Monelle Valentin (Antigone) et Jean Davy (Créon).