Marc Béland, Ken Roy et Charmaine LeBlanc : Intimités partagées
Scène

Marc Béland, Ken Roy et Charmaine LeBlanc : Intimités partagées

Avec Quarantaine 4X4, Charmaine LeBlanc brosse le portrait intime et inédit de quatre artistes réputés dans une oeuvre intégrant la voix, le mouvement, la musique et les arts visuels. Marc Béland et Ken Roy font partie des hommes qui se sont prêtés au jeu de la mise à nu et de la découverte.

Que se passerait-il si on amenait des danseurs dans des zones qu’ils ne connaissent pas? Quels êtres humains découvrirait-on alors derrière les artistes que l’on admire habituellement sur scène? C’est en partant de ces questions que la compagnie Danse-Cité avait invité la créatrice multidisciplinaire Charmaine LeBlanc à créer la pièce Quarantaine, en 2004. Quatre femmes quadragénaires s’y révélaient à travers une galerie de personnages.

Danseur professionnel des années 80 reconverti dans la thérapie sportive, Marc Daigle s’était alors porté immédiatement candidat pour une éventuelle déclinaison du concept au masculin. Ken Roy, l’un des meilleurs interprètes au pays, lui avait emboîté le pas. Partageant l’expérience avec l’homme de théâtre Marc Béland et le chorégraphe Benoît Lachambre dans Quarantaine 4X4, ils se sont livrés sans réserve au dévoilement de leur intimité, devant une metteure en scène fascinée par tant de transparence. "Je leur ai d’abord posé une centaine de questions sur leur propre vie, sur leurs pudeurs, leurs tares, leurs hontes, leurs tabous…, raconte Charmaine LeBlanc. Je leur ai demandé s’ils étaient de bons amants, s’ils avaient peur de la mort, quels étaient leurs rapports aux femmes, aux hommes, etc. Étonnamment, ils ont été beaucoup plus libres que les femmes et ils sont allés plus profondément qu’elles dans leur intimité."

"Je pense que ça parle d’une soif de se faire entendre, commente Marc Béland, qui a longtemps dansé dans la compagnie La La La Human Steps avant d’opter pour le théâtre et qui fête, ce mois-ci, ses 50 ans. Je pense qu’il est grand temps pour nous, les hommes, non pas de faire un lavage de linge sale en public, mais d’avoir accès à une sorte d’intimité. Je nous trouve en général bien campés dans notre statut social, nos activités professionnelles, et il est temps qu’on puisse être sans se définir par ce qu’on fait."

PORTRAITS MULTI-FACETTES

Les quelque sept heures trente d’entrevues récoltées par LeBlanc sur vidéo ont servi de base à cette création que l’équipe rassemblée autour de la Montréalaise qualifie de performance-documentaire. Tandis que les interprètes occupent la scène, des extraits des moments les plus significatifs de leurs confidences et réflexions sont projetés sur un écran déployé à 280 degrés dans l’espace de la Société des arts technologiques. Elles cèdent rapidement la place à trois autres types de projection.

"Il y a un énorme travail d’arts visuels, explique LeBlanc. Pol Turgeon, qui est un illustrateur hallucinant, a fait huit illustrations pour chaque artiste pour exprimer leurs côtés plus noir, spirituel, pervers… Les facettes qu’on ne voit pas. Il y a aussi les vidéos de Marlène Millar qui montrent leur transformation en reproductions de peintures célèbres, comme la Madone d’Edvard Munch ou l’Autoportrait de Francis Bacon. C’est Eleni Uranis, la maquilleuse du Cirque du Soleil, qui les a peints, et ça illustre leur passage d’un état à un autre. Enfin, il y a des moments où l’écran est saturé d’une couleur pour souligner une émotion, un sentiment… L’idée est de présenter toutes sortes de lectures poétiques de la pensée de ces hommes. Un peu comme quand on discute avec quelqu’un et qu’on a des petites bulles de pensées qu’on garde pour soi. On essaye de traduire cette lecture à plusieurs niveaux."

Aux images quasi omniprésentes qui compliquent la tâche de la conceptrice d’éclairages Lucie Bazzo, s’ajoutent donc le chant, la musique et la chorégraphie, éléments qui étaient les plus familiers aux interprètes à l’heure où nous les avons rencontrés. Étant tous fort occupés, ils ont beaucoup travaillé en solo avec LeBlanc, bénéficiant d’une dizaine de répétitions de groupe seulement et ignorant tout de la façon dont la metteure en scène va assembler le tout. Elle-même se disait très curieuse de découvrir le résultat final de son oeuvre, prévu quelques jours avant la première.

LE GOÛT DU RISQUE

Au-delà du défi de dévoiler la personnalité privée derrière la figure publique, les interprètes se sont offert le risque du dépassement en s’aventurant sur des territoires inhabituels: revenir à la scène pour Marc Daigle, expérimenter le calme et la douceur pour Benoît Lachambre, parler au "je" pour Marc Béland, et oser le chant pour Ken Roy. Car, même si elle s’investit depuis 20 ans dans tous les arts de la scène, Charmaine LeBlanc est avant tout une musicienne, et c’est sur la pente du travail vocal qu’elle voulait plus particulièrement entraîner les quatre hommes. Pendant six mois, ils ont eu le loisir de venir prendre des cours particuliers avec elle, apprivoisant leur voix et explorant leurs préférences musicales. Interprétées en direct par la guitariste Sylvie Paquette et la violoncelliste Anne-Marie Cassidy, toutes les compositions sont inspirées des improvisations des interprètes. Pour Roy, qui n’avait pas chanté depuis l’enfance, la partie n’était pas gagnée d’avance. Mais il s’en est si bien tiré qu’il a même composé une chanson.

"Charmaine utilise un vocabulaire très physique dans sa façon de travailler, ce qui m’a permis de m’identifier très facilement, déclare le danseur de 45 ans. La manière dont elle invite à diriger l’air et le son à travers le corps, à le placer dans des points particuliers du visage, par exemple, correspond au processus de création du mouvement: tu trouves l’énergie et la forme dans ton corps et ensuite, tu crées une sorte d’expansion vers l’extérieur. Finalement, je pense que la voix et le mouvement viennent de la même source. C’est la même impulsion créatrice qui se manifeste juste de manière différente."

S’il est encore difficile de tirer les enseignements de ce voyage que chacun a vécu à sa manière et qui est loin d’être terminé, l’intimité partagée par les quatre hommes est une nourriture que tous ont savourée avec délectation. "Ce qui m’intéresse beaucoup, confie Béland, c’est de savoir d’où viennent les gens. Ça me touche d’entendre le parcours d’enfants et de voir ce qu’ils sont devenus. Par exemple, il y a quatre réactions différentes à la question que Charmaine nous pose sur nos pères, mais ce qu’on note, c’est qu’ils n’ont pas beaucoup été là." Déplorant le manque de rites initiatiques qui faciliteraient l’épanouissement identitaire des hommes, le comédien-danseur voit dans Quarantaine 4X4 une sorte de rituel qui peut leur permettre de se sentir moins seuls.

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D’UNE MASCULINITÉ A L’AUTRE

Quand quatre hommes confient leurs réflexions sur leur vie, leurs valeurs et leur environnement, un portrait se dessine de la masculinité qui n’a rien de monolithique, mais qui révèle tout de même certains archétypes. "C’est intéressant de travailler avec une femme parce qu’elle propose des choses qu’un homme n’aurait pas proposées, observe Ken Roy. Par exemple, la mise en scène d’une série de stéréotypes que j’ai trouvé drôle à explorer et dans lesquels je me suis parfois reconnu, à ma grande surprise." "J’appelle cette scène la parade des Jean-Pierre, s’exclame en riant Charmaine LeBlanc. On aurait pu penser que c’était niaiseux de faire ça, mais je pense qu’il y a une profondeur là-dedans. Par exemple, à un moment, Benoît dit qu’il déteste être défini par son genre, que ça le limite dans sa façon de penser clairement. On vit dans une société pleine de stéréotypes, et ces hommes essayent de s’en défaire." "On voulait aussi montrer qu’être un homme, c’est être une personne, un être humain qui peut avoir peur, être fragile, doux, agressif…, poursuit Roy." "Pour moi, c’était aussi important de travailler sur l’idée d’une colère assumée", ajoute Marc Béland. Quant à la compétitivité légendaire entre mâles, elle s’est tout simplement exprimée sous forme de jeu, dans le plaisir dont chacun s’accorde à dire qu’il a présidé à l’ensemble de cette création.