Bertrand Labarre : Sous le même soleil
Haïti en Scène, organisme communautaire et troupe semi-professionnelle de jeunes artistes haïtiens, viendra nous présenter un Starmania à la sauce antillaise. Étonnamment, Monopolis et Port-au-Prince ont plusieurs points en commun. Le metteur en scène Bertrand Labarre, Français d’origine et Haïtien d’adoption, nous en parle.
Voir: Pourquoi avez-vous choisi de monter Starmania?
Bertrand Labarre: "Parce qu’Haïti en Scène voulait monter des musicals, mode d’expression scénique totalement absent de la scène haïtienne, et que Starmania était inconnu ici. Seules certaines chansons telles Un garçon pas comme les autres ou Le monde est stone avaient percé, et encore, elles n’étaient jamais rattachées à un spectacle franco-canadien. Mais aussi, pour dire aux Haïtiens à quel point ce qu’ils vivent aujourd’hui avait déjà été dépeint, il y a 30 ans, par deux auteurs. Cela remettait Haïti dans le monde, et non pas à part du reste du monde, comme les médias internationaux le situent injustement."
Est-ce qu’il y a lieu de comparer votre version de Starmania à l’original ou est-ce une oeuvre en soi?
"Nous ne jouons pas dans la même cour. Le budget de notre production équivaut peut-être à 2 ou 3 % de ce que les grandes versions montréalaises ou françaises professionnelles peuvent dépenser. Notre troupe est semi-professionnelle, cela signifie que les gens travaillent dans la journée, ou étudient, et viennent répéter les soirées et les week-ends. Nous nous battons fréquemment contre les éléments. Les problèmes d’électricité ou de transport ont longtemps été nos pires cauchemars de répétition. On ne peut donc chercher à se comparer. Je crois que même les plus grands fans de ce pop opéra vont le redécouvrir sous un jour nouveau."
En quoi cette version diffère-t-elle?
"Le spectacle est habité par l’âme, la fibre et le coeur d’Haïti. Les arrangements, notamment les rythmes avec le tambour, les chorégraphies, les costumes et les maquillages portent, chacun à sa manière, une partie de ce pays et de cette culture."
En quoi le spectacle est-il imprégné de la situation actuelle en Haïti?
"Il y a plusieurs aspects, dont le chaos, qui n’est pas permanent à Port-au-Prince, mais qui peut s’emparer de la ville par moments. Il y a aussi la violence urbaine, la coexistence d’univers socioculturels éloignés, l’absence d’espoir, les kidnappings… Autant de thèmes profondément universels dans le livret de Luc Plamondon, mais dont l’actualité haïtienne relève le goût. Lire Starmania en regardant Port-au-Prince et Haïti devient, à un moment donné, une évidence."
On dit que les artistes d’Haïti en Scène s’identifient à cette ville hyper-capitaliste qu’est Monopolis. De quelle manière, selon vous?
"Je crois que la réalité de Monopolis pour eux est un mélange de représentation futuriste – surtout que nous avons situé notre version en l’an 3000 – et une expérience quotidienne. Les Port-au-Princiens connaissent bien les chimères, ces habitants de Cité Soleil qui, à des moments difficiles de l’actualité sociopolitique, prennent possession de la rue, de certains lieux clés de la ville et terrorisent la population. L’histoire d’Haïti est jalonnée de ces crises passagères qui donnent à la rue et à la violence un pouvoir sur le cours de la destinée. Des chefs chimères dont les noms sont connus de tous deviennent des icônes et les cibles privilégiées de la police. Ils finissent mal d’ailleurs. Comment ne pas les rapprocher des Étoiles noires et de Johnny Rockfort? Mais les occurrences pour nos jeunes artistes ne se résument nullement à une violence exacerbée. Ils connaissent également la sur-médiatisation, la "pipolisation" à outrance de certaines célébrités; c’est alors Roger Roger, Cristal ou Stella Spotlight qui deviennent des figures connues."
La troupe évolue avec des moyens limités. Cela se transmet-il dans le ton de l’oeuvre?
"Je crois que oui. Cela fait partie du défi et c’est, à en croire Luc Plamondon, ce qui séduit de prime abord. Ce sera à vous de nous le dire."
Du 26 au 30 mars
À la Tohu
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