Philippe Soldevila : Les diaboliques
Philippe Soldevila propose une adaptation "libertaire" du El Mágico prodigioso de Calderón de la Barca, auteur majeur du siècle d’or espagnol. Voie de détournement.
Après Santiago, créée l’an dernier, le Théâtre Sortie de secours poursuit son "cycle d’or" avec Le Magicien prodigieux. Comédie philosophique et métaphysique strictement vouée à l’édification morale, une adaptation de la comedia de santos de Calderón de la Barca. "Pour nos 18 ans, on s’est dit qu’on allait entreprendre un cycle de maturité, se concentrer sur des tentatives de l’homme pour joindre l’intime et le céleste. On continue dans cette veine, mais dans un registre très différent", explique Philippe Soldevila. Cette manière de drame religieux, qu’il s’est permis de remanier à volonté, a été écrite en 1637, époque où, en France, on se pliait aux règles du théâtre classique, tandis qu’en Espagne, "c’était Hollywood", risque-t-il, non sans avertir qu’il exagère un peu, en précisant: "C’était le party, dans le sens où ils faisaient des spectacles haut en couleur. Les unités de lieu, de temps et d’action, ils s’en sacraient. On se transportait d’une scène à l’autre, d’une ville à l’autre. Les personnages changeaient. Il y avait de tout; beaucoup d’éléments comiques, de spectaculaire. Donc, c’était du théâtre plus baroque, riche, foisonnant." Il a d’ailleurs beaucoup ri en lisant cette pièce, dont il appréciait également le sujet. "Dans le fond, il s’agit d’une autre version de Faust, alors que Cypriano vend son âme au Diable pour avoir le coeur de Justina. Or, il se heurte à quelque chose de fondamental: son libre arbitre, observe-t-il. Le problème, c’est qu’ils utilisaient leur liberté pour mourir comme martyrs de la foi chrétienne. Ce qui fait que j’ai perverti l’oeuvre, c’est-à-dire que je rends hommage à Calderón, mais en même temps, je l’outrage parce que je détourne certaines répliques, je me moque de certains personnages."
Et si l’histoire se déroule à Rome, au 3e siècle, nous serons quant à nous témoins du spectacle qu’en donnent le Diable (Jonathan Gagnon) et sa bande. Le tout dans l’esprit des mystères médiévaux, ces grandes fêtes théâtrales qui pouvaient durer des jours et pour lesquelles on engageait des compagnies spécialisées, recréant l’enfer à cour et le ciel à jardin. "Il s’agit d’une espèce de troupe intemporelle, qui a décidé de donner cette représentation de saint Cyprien et sainte Justine aujourd’hui, indique-t-il. Ainsi, je pouvais garder une distance, un regard critique. On voit les ficelles de l’acte théâtral; les comédiens au travail, la mise en scène souvent maladroite – car le Diable a un goût discutable… Ça nous donnait toutes les permissions pour l’aspect parodique. Aussi, comme il s’agit d’une troupe plus ou moins talentueuse, il y a un côté un peu broche à foin, garage, amateur. On s’est demandé: "Où est-ce qu’ils ont récupéré leurs accessoires, leurs costumes à travers les siècles?"" Ainsi l’ensemble se trouve-t-il placé sous le signe du recyclage, que ce soit sur le plan visuel (Erica Schmitz et Jeanne Lapierre) ou sonore (Pascal Robitaille). Cela dit, il ne faudrait pas oublier que ce texte offre également matière à réflexion. "Tous les étudiants en philo devraient venir", rigole le metteur en scène avant de conclure: "On fait ça en s’amusant, sans se prendre au sérieux."
Du 25 mars au 12 avril
Au Théâtre Périscope
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