Il faut tout d’abord rendre à César ce qui lui revient. C’est Paul Lefebvre qui a eu la très bonne idée de traduire le texte du Hongrois Peter Karpati et de le faire découvrir à la directrice artistique Ginette Noiseux et à la metteure en scène Martine Beaulne. On ne saurait trop l’en remercier! Parce que la pièce créée à Budapest en 1993 est drôle, émouvante et pertinente. Parce que la traduction restitue habilement la multitude des tons adoptés, de l’oralité la plus chaotique au vers le plus classique. Et finalement parce que le mariage entre l’oeuvre, la metteure en scène et la comédienne qui tient le premier rôle est plus qu’opérant.

Cela dit, la rencontre aurait pu ne pas se produire. Les précédentes incursions de Beaulne dans l’oeuvre de la Britannique Caryl Churchill, des pièces qui ne sont pas sans rappeler celle de Karpati, n’ont pas été des plus heureuses. Cette fois, la metteure en scène prouve qu’elle a parfaitement cerné sa matière première. Avec dosage, sans s’engager complètement dans la comédie, la tragédie, le mélodrame, le drame social ou le conte symboliste, mais en empruntant franchement à tous ces registres, Beaulne éclaire les multiples dimensions de la pièce. D’abord, il y a la superbe scénographie de Richard Lacroix, une station de métro qui évoque sans peine, notamment grâce à d’imposants amoncellements de meubles situés de part et d’autre de la scène, les divers lieux visités par Emma, irrésistible héroïne de la pièce. Confrontée à l’imminence de sa mort, cette femme dans la quarantaine plonge en elle-même comme Alice à travers le miroir. Avant de rejoindre son créateur, elle entreprend de régler ses comptes avec sa mère, sa fille, son ex, son amie, son médecin et… la Mort personnifiée. Pleine de bonnes intentions, elle commet gaffe après gaffe, rit et pleure en même temps, veut rassurer tout en cherchant à l’être… Ses préoccupations, tour à tour futiles et profondes, sa soif de renoncement, sa lucidité et son sens de la répartie nous la rendent extrêmement attachante.

Il faut dire que le rôle est taillé sur mesure pour Annick Bergeron. Tout simplement brillante, la comédienne communique à son personnage vivacité d’esprit et détermination. Autour d’elle, Monique Miller incarne la mère déjantée, Normand Lévesque endosse les habits d’un hurluberlu désopilant, surtout quand il pousse la chansonnette, Jean Maheux donne à la Mort des airs de rappeur, Dominique Leduc est une délicieuse vieille fille et Catherine Lavoie, une nouvelle venue plus que prometteuse, campe une adolescente qui marche indéniablement dans les traces de sa mère.

Jusqu’au 12 avril
À l’Espace Go
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