Manon Oligny et Nelly Arcan : Féminité débridée
Scène

Manon Oligny et Nelly Arcan : Féminité débridée

Manon Oligny exalte la féminité sauvage dans L’Écurie, une installation chorégraphique où elle invite l’auteure Nelly Arcan à écrire en direct.

Après l’originale et délicieuse Quarantaine 4X4, Danse-Cité boucle sa saison avec un nouveau projet audacieux à la SAT. La chorégraphe Manon Oligny nous y propose une visite de L’Écurie, installation composée de trois box aux parois ajourées qui permettent d’observer sous toutes les coutures trois interprètes-juments en proie au désir d’échapper à leur enfermement.

"J’avais envie de trouver une autre façon de faire voyager le spectateur et de l’amener dans mon univers chorégraphique de manière moins passive", explique celle dont la démarche artistique est marquée par une exploration pointue du corps féminin et de sa libération des stéréotypes. "C’était aussi une autre façon de traiter la question du voyeurisme, que j’avais abordée dans d’autres pièces. Mais, alors que j’ai toujours travaillé la féminité par rapport à l’assujettissement au regard masculin, cette fois la femme est beaucoup plus sujet qu’objet, même si elle est très observée."

Cette force féminine qui fait son apparition dans l’oeuvre de la chorégraphe est aussi une nouvelle approche pour Nelly Arcan, dont les mots galoperont littéralement pendant la représentation sur un écran circulaire tendu tout autour de l’installation. "Dans mes livres, je décris la femme plutôt en miettes, que ce soit émotionnellement ou mise en morceaux par la pornographie ou la chirurgie plastique, commente l’écrivaine. Je parle de femmes en perte d’unité et de repères alors que dans L’Écurie, il y a des moments où les juments sont en déploiement de puissance: elles frappent dans leur box, plantent leurs yeux dans ceux des spectateurs… Il y a là quelque chose de l’ordre de la maîtrise, de la force physique et de l’affirmation de soi que je n’aborde pas habituellement."

Si Oligny est allée chercher la célèbre auteure de Putain, Folle et À ciel ouvert, c’est qu’elle retrouvait dans son oeuvre le paradoxe qui l’habite et qui perturbe de nombreuses femmes prises entre désir d’émancipation et besoin de séduire. "Même si ça ne joue pas explicitement dans la pièce, on peut voir cette dualité entre révolte et soumission, ce combat pour sortir d’un carcan et vouloir y rester quand même parce que c’est là-dedans qu’on existe", affirme Arcan. C’est donc ce déchirement entre l’expression libre de soi et la quête d’amour et d’approbation qu’incarnent Anne LeBeau, Karina Iraola et Sophie Corriveau, chacune à leur manière. S’inspirant de leurs mouvements, de leur énergie et de leur personnalité, Arcan distille un texte minimaliste et percutant qui commente l’oeuvre autant qu’il l’alimente.

"J’aime beaucoup les voix off et l’intellectualisme qui s’inscrit par bribes en rupture avec la dramaturgie d’une pièce, comme dans le cinéma de Godard, déclare la chorégraphe pour justifier le choix de travailler avec une auteure. Je l’ai fait avec l’acteur Fabrice Boutique dans L’Éducation physique, qui était une conférence dansée, et avec la romancière Christine Angot dans 24 Caprices, où les mots étaient dans la bouche des danseuses. Nelly, j’aime la voir réfléchir et corriger des mots en direct. Même si elle va préparer ses textes, je suis sûre qu’après deux ou trois représentations, elle va se donner plus de libertés."

Comme dans toute installation, le public peut circuler à sa guise. Mais comme il s’agit aussi d’un spectacle avec un début et une fin, il ne quitte pas les lieux quand bon lui semble. Le défi pour Manon Oligny a donc été d’orchestrer son oeuvre de manière à maintenir l’attention (et la tension) en tout temps et de n’importe quel point de vue. Pour ce faire, elle a travaillé en très étroite collaboration avec le compositeur Gilles Brisebois, le vidéaste Simon Laroche et l’éclairagiste Yannick Macdonald, qui signe également la scénographie de la pièce. Une oeuvre dérangeante à la physicalité brute qui devrait bousculer hommes et femmes dans leur conception de la féminité.

Du 16 au 19 et du 23 au 26 avril
À la SAT
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