Abraham Lincoln va au théâtre : Tragédie nationale
Pour célébrer les 30 ans du Théâtre PÀP, on ne pouvait imaginer mieux que cet Abraham Lincoln va au théâtre, une fructueuse collaboration de plus entre Larry Tremblay et Claude Poissant.
Depuis la fin des années 80, Larry Tremblay édifie une oeuvre passionnante et singulière. Avec des pièces telles que The Dragonfly of Chicoutimi, Ogre, Les Mains bleues, Téléroman et Le Ventriloque, le dramaturge a fait preuve d’une lucidité et d’une rigueur extraordinaires, d’une pertinence constante et d’une imagination sans bornes. Avec Abraham Lincoln va au théâtre, il livre une réflexion extraordinairement vaste et ramifiée, s’engage plus profondément que jamais dans la crise identitaire de l’homo americanus.
La création du Ventriloque, en 2001, nous l’avait déjà brillamment démontré: quand la matière prodigieuse de Larry Tremblay rencontre les lumières et la sensibilité de Claude Poissant, animateur passionné du Théâtre PÀP depuis maintenant 30 ans, le résultat ne peut être que remarquable. Abraham Lincoln va au théâtre confirme la règle. Pour mettre au jour le maelström que l’auteur a su extirper du plus profond de sa psyché – et de la nôtre, cela ne fait pas de doute -, le metteur en scène et ses collaborateurs ont choisi la retenue, le dosage.
Avec un théâtre qui expose les excès de l’Amérique, il est bien inutile de faire de l’esbroufe. Faire entendre, comprendre, déployer tout ce que le texte recèle, voilà ce qu’il faut s’engager à accomplir. Grâce à une scénographie réduite au minimum, à de judicieuses ponctuations sonores et lumineuses, mais surtout grâce à une direction d’acteur soigneusement calibrée, on goûte avec ravissement à la partition: profusion de symboles, multitude de registres, mises en abyme à perte de vue, architecture vertigineuse de réalités fuyantes.
En Laurel et Hardy, des figures mythiques qui ont ici des résonances artistiques, sociales, historiques et anthropologiques, Maxim Gaudette et Patrice Dubois naviguent avec talent du comique au tragique, de l’intime au collectif. Surtout grâce à Gaudette, qui trouve ici l’un de ses plus beaux rôles, la crise identitaire est sérieuse mais truffée d’humour, la thérapie est salvatrice sans être pénible, la bouffonnerie côtoie tout naturellement l’émotion.
Benoît Gouin est plus grand que nature dans le complet d’Abraham Lincoln, chef d’État mais aussi metteur en scène tyrannique, torturé par le désir de cristalliser sur scène la danse de l’Amérique. À ce chapitre, la finale est des plus réussies. Rencontre de l’horreur et de la beauté, du grotesque et du sublime, elle est aussi paradoxale que l’Amérique.
Jusqu’au 17 mai
À l’Espace Go
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