Equus : Scène primitive
Daniel Roussel propose chez Duceppe une relecture plutôt maladroite du Equus de Peter Shaffer.
Par essence, le théâtre est une affaire d’antagonisme. L’affrontement de deux visions du monde diamétralement opposées laisse en effet présager un moment de théâtre substantiel, voire cathartique. Dans Equus, une pièce du Britannique Peter Shaffer créée en 1973 et que le metteur en scène Daniel Roussel ramène ces jours-ci chez Duceppe, le conflit s’incarne dans un face-à-face, une rencontre pénible mais décisive entre deux hommes aux antipodes, du moins en apparence.
En effet, entre Strang, l’adolescent qui a, dans un accès de colère, crevé les yeux de six chevaux, et Dysart, le pédopsychiatre chargé de faire la lumière sur ces spectaculaires agissements, il y a finalement plus de points communs que de matière à empoignade. L’un et l’autre sont aux prises avec de graves problèmes d’identité, une crise qu’ils devront dénouer sous nos yeux. Le plus jeune lutte contre un amour profond de la race équine, un désir hors norme, métaphore de toutes les sexualités dites marginales. Pour Dysart, le malaise est plus classique. L’homme est marié à une femme qu’il n’aime pas et il exerce une profession dont il n’est plus du tout convaincu du bien-fondé. Cette rencontre, de nature médicale mais aussi et peut-être surtout humaine, viendra colmater les nombreux échecs relationnels que le garçon et l’homme mûr ont dû subir jusqu’ici.
Avec son regard perçant, souvent aussi troublant que celui d’une bête affolée, Éric Bruneau était tout désigné pour le rôle de Strang. S’il parvient généralement à traduire le désarroi de son personnage, sa rage contenue, le comédien est malheureusement bien inconstant. D’une scène à l’autre, on ne sait plus si on a affaire à un jeune adulte lucide, à un enfant meurtri et sans défense ou encore à un garçon intellectuellement diminué. Dans les habits de Dysart, Guy Nadon est toujours juste. Avec sa voix unique et son regard profond, l’homme transmet les moindres tiraillements de son personnage. On se prend à imaginer l’impact qu’aurait eu son interprétation dans un spectacle plus cohérent.
Il faut le dire, si la pièce de Shaffer est toujours pertinente 35 ans après sa création, la mise en scène de Roussel pose sur elle un regard trouble. Le procédé scénographique – vomitoire, plateau pivotant, immense paroi de verre – alourdit considérablement la représentation et nous distrait de l’essentiel. Nous sommes ici en présence d’un théâtre d’acteurs, il aurait été préférable de s’appuyer avant tout sur ces derniers.
Jusqu’au 31 mai
Au Théâtre Jean-Duceppe
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