Wajdi Mouawad : Plans d'avenir
Scène

Wajdi Mouawad : Plans d’avenir

À 39 ans, Wajdi Mouawad est à la barre du Théâtre français du Centre national des arts, à Ottawa, et ce, pour les quatre prochaines saisons. On peut d’ores et déjà se risquer à parler d’un mandat déterminant.

Quelque part entre la reprise d’Incendies à Paris, celle de Forêts à Lyon ou la présentation de Seuls à Nantes, Wajdi Mouawad, maintenant basé à Toulouse, faisait une apparition à Ottawa la semaine dernière pour dévoiler la saison 2008-2009 du Théâtre français du Centre national des arts (CNA). On en a profité pour parler un peu avec lui.

Pour les quatre prochaines années, le nom du Théâtre français sera associé aux créations de Mouawad. En échange, l’homme devra apporter sa couleur à la maison, y promouvoir ses idées sur le théâtre, y faire découvrir les spectacles qui l’ont remué. Autour de lui, une équipe expérimentée se chargera en permanence d’appuyer sa vision. "Ça ressemble un peu à ce qu’on demande à un chef d’orchestre, affirme le créateur, assis dans un chic salon du CNA. Le chef d’orchestre continue son travail de direction un peu partout, là où il veut, mais il porte toujours l’esprit du lieu auquel il est rattaché."

Pour Mouawad, qui a été directeur artistique du Théâtre de Quat’Sous pendant presque cinq ans, sa posture actuelle au CNA, comparable à celle d’artiste-associé, est idéale pour préserver son intégrité artistique. "Même au Quat’Sous, je me suis rendu compte que si je restais plus longtemps, mon travail d’artiste allait diminuer. On ne peut pas tout faire à la fois. En ce sens, la structure du CNA est assez unique au pays. C’est un endroit où l’on donne à l’artiste une liberté de parole mais aussi d’action."

NOUS SOMMES EN GUERRE

Directeur artistique de la maison depuis septembre dernier – il est sur les lieux une semaine tous les deux mois -, Mouawad a réussi, malgré son horaire particulièrement chargé, à sélectionner, pour les spectateurs exigeants de la capitale nationale, 10 pièces de résistance, un florilège dont la composition a été, bien entendu, influencée par son histoire personnelle. "Dans cette saison, il y a mon parcours d’étranger, celui de quelqu’un qui parle une langue qui n’est pas sa langue maternelle. J’ai cherché à faire en sorte que ce trajet-là se reflète dans ma direction artistique."

Aux spectacles initialement produits à Montréal et Québec s’ajoutent quelques réjouissantes exclusivités. Il y a d’abord Manifeste!, un hommage à la contestation supervisé par Gary Boudreault. Puis, Krum, une comédie noire de l’Israélien Hanokh Levin mise en scène par le Polonais Krzysztof Warlikowski. Et finalement, Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face, une épopée de Mouawad sur la fondation de la ville de Thèbes portée à la scène par le Français Dominique Pitoiset.

Radical, voilà bien une expression qu’on associe d’emblée au créateur d’origine libanaise. "Je ne fais pas exprès pour être radical, ce sont les autres qui me disent que je le suis. Être radical, au fond, c’est ne faire aucune concession sur ce dont on a envie, faire confiance aux intuitions, être le plus sincère possible. Les autres en penseront ce qu’ils voudront. On leur expliquera quand ils nous le demanderont. Mais on va tout de même le faire!"

Fidèle à lui-même, Mouawad a choisi de coiffer sa première saison d’une formule-choc: "Nous sommes en guerre". La phrase, controversée au sein même de l’organisation du CNA, est de celles qu’on ne lance pas innocemment, surtout dans les rues d’Ottawa. "C’est une phrase qui ouvre à tout, annonce son auteur. C’est une affirmation qui permet une infinité d’interprétations. On peut être en guerre avec ou contre quelque chose. On peut être en guerre sans trop savoir contre quoi."

Quand on lui demande de nous dire précisément ce que lui a voulu exprimer par cette phrase, le créateur répond: "J’ai envie de dire aux gens qu’ils sont actifs, qu’ils peuvent changer leur vie. On peut changer de pays, on peut quitter sa vie pour en construire une autre. On peut agir, c’est un combat, mais on peut le faire. Nous sommes en guerre, c’est une invitation à l’éveil. Ce n’est pas une invitation à aller taper sur qui que ce soit."

Parmi les projets qui vont occuper Mouawad au cours des prochains mois, il y a les représentations de Seuls au Canada et en France, ainsi que la mise au jour de Ciels, dernier volet de la tétralogie amorcée avec Littoral, Incendies et Forêts. La création de ce spectacle aura lieu l’an prochain à l’occasion du Festival d’Avignon. Rappelons que le prestigieux événement a fait de Mouawad son artiste-associé pour 2009. À plus long terme, le créateur envisage la mise en scène des sept tragédies de Sophocle, la reprise de sa tétralogie dans son intégralité et… une réorientation professionnelle!

"Dans ma vie, le théâtre a été comme un fracas qui m’a interrompu dans une marche. Les Sophocle vont conclure mon histoire avec le théâtre. Après ça, j’aspire à beaucoup de solitude, de l’écriture, peut-être autre chose, mais plus le collectif, plus les acteurs, plus l’équipe, plus les spectateurs… plus le théâtre. Pour moi, c’est très clair que ça se termine avec le CNA. Après, il va y avoir un changement de vie radical." Radical, bien entendu.

Pour en savoir plus sur les 16 spectacles de la saison (incluant ceux programmés pour l’enfance et la jeunesse par Benoît Vermeulen) et connaître les nombreuses activités parallèles du Théâtre français, rendez-vous au www.nac-cna.ca/tf.