Gianina Carbunariu : La vraie vie est ailleurs
Gianina Carbunariu, dynamique représentante de la jeune scène théâtrale roumaine, nous fait l’honneur d’une première visite. Son mady-baby.edu est précédé d’une rumeur des plus favorables.
Née en 1977, la Roumaine Gianina Carbunariu était encore une enfant lorsque Ceausescu a été fusillé. Formée à Bucarest, au début des années 2000, en écriture et en mise en scène, la jeune femme considère la chute du communisme comme un sujet de prédilection, pas un passage obligé, pas une voie royale, mais une mine à explorer. "La réalité de la Roumanie après la chute du communisme est très riche en histoires, parfois dramatiques, parfois absurdes, souvent incroyables."
Puis elle ajoute: "Ce qui m’intéresse, ce sont les histoires autour de moi, celles qui ne vont probablement pas rester dans les livres qui racontent la grande histoire. Je suis intéressée par la dynamique d’une réalité qui change sans cesse son visage, mais qui ne change pas aussi vite aux niveaux les plus profonds. C’est ça qui rend possibles les situations paradoxales qu’on observe autour de nous."
Depuis la chute du rideau de fer, les Roumains assistent au triomphe du capitalisme sauvage. Gangstérisme et corruption sont plus que jamais au rendez-vous. Encore une fois, le rêve américain a un goût bien amer. "Pendant la période de transition, explique Carbunariu, de nouvelles catégories sociales sont apparues. Il y a les gens qui n’ont pas pu s’adapter à cette nouvelle réalité, ceux de l’ancien régime qui ont très bien survécu et qui ont continué à faire de la politique, il y a les nouveaux riches, les nouveaux pauvres… Les jeunes ne comprennent pas toujours ce qui se passe autour d’eux, parce qu’ils n’ont pas connu le communisme. Ils connaissent très bien les effets, mais pas aussi bien les causes."
Puis elle ajoute: "Quand les vieilles choses se melent avec les nouvelles dans un mélange tres étrange, la promiscuité des relations est inévitable. Vingt ans aprcs 1989, on ne sait pas exactement comment le systcme communiste a fonctionnné. On refuse toujours d’ouvrir tous les dossiers de la Securitate, des dossiers qui sont utilisés pour le chantage politique ou économique. Dans un tel contexte, bien entendu, la corruption, la prostitution et la pornographie, dans tous les sens, sont présentes."
LE MAL DU PAYS
Pour réagir à l’état actuel de son pays, Gianina Carbunariu a choisi le théâtre, l’écriture et la mise en scène. Dans mady-baby.edu, elle raconte l’histoire de Madalina, une adolescente que son rêve de devenir pop star va entraîner en Irlande, dans le monde de la prostitution et de la porno. Sur sa route, Maddy va croiser deux compatriotes, deux hommes happés, eux aussi, à leur manière, par le rêve de la réussite rapide.
"Je m’identifie dans la même mesure aux trois personnages, affirme Carbunariu. Surtout à leur décision radicale de quitter un pays où ils ne voient pas de futur. Ma décision a été aussi radicale que la leur. J’ai décidé de rester, mais j’ai essayé de ne pas suivre le chemin, la manière de vivre qu’on attendait de moi, de faire les choses différemment. J’ai eu la chance de rencontrer des gens qui voulaient la même chose que moi. Les trois personnages de ma pièce n’ont pas cette chance. Pour sauver leur peau, ils sont prêts à se détruire les uns les autres."
La critique considère que Carbunariu pose un regard acéré sur le monde qui l’entoure, que son travail est un surprenant alliage de tragique et de comique. "L’humour est indispensable dans des situations de confusion, estime la principale intéressée. On ne sait plus vraiment qui est qui, qui est l’assassin et qui est la victime. La réalité offre des situations paradoxales, des situations où les limites entre le comique, le tragique, le grotesque et le rêve sont très minces."
Du 22 au 25 mai
Au Théâtre Prospero
TOUR DU MONDE
Créé fin 2004 au Teatrul Foarte Mic de Bucarest, présenté depuis un peu partout en Europe, mady-baby.edu est la troisième création de Gianina Carbunariu. Traduit en français, le texte a été publié chez Actes Sud sous le titre de Kebab. En 2007, la pièce était présentée en France dans une mise en scène de Christian Benedetti. Ce succès, la créatrice ne l’avait jamais même soupçonné. "Je n’avais pas la moindre idée que ce spectacle allait être invité dans des festivals à l’étranger ou en Roumanie, explique-t-elle. Je n’ai pas même pensé à ça, je ne pense jamais à ce qui va se passer avec le spectacle après la première. Je pense à ce que je veux dire, je pense à essayer des choses que je n’ai pas encore essayées." Si elle admet que le contexte dans lequel elle crée n’est pas idéal, Carbunariu n’a pas le sentiment d’être isolée. "Je voyage beaucoup, j’ai commencé à être invitée pour faire de la mise en scène à l’étranger, j’ai des amis auteurs ou metteurs en scène à l’étranger, je n’ai pas le sentiment d’être isolée en Roumanie. Le plus important pour moi en ce moment, c’est de savoir que j’ai une équipe, des collaborateurs qui, malgré les pressions sociales de toutes sortes, monétaires surtout, trouvent le temps de réfléchir et de créer ensemble."