Meg Stuart : La dérive des sentiments
Scène

Meg Stuart : La dérive des sentiments

Les chorégraphes Meg Stuart et Philipp Gehmacher s’unissent pour danser les affres d’un impossible amour dans Maybe Forever, appuyés par un environnement sonore et visuel éloquent.

Son plus récent passage à Montréal date de l’extraordinaire Forgeries, Love and Other Matters où elle partageait la scène avec Benoit Lachambre. États-unienne d’origine basée à Bruxelles depuis 1989, Meg Stuart s’ingénie à multiplier les collaborations avec des artistes de diverses disciplines. Au fil des ans, chorégraphes, artistes visuels, vidéastes, auteurs, metteurs en scène, compositeurs et scénographes ont enrichi ses oeuvres et nourri sa démarche artistique.

"Au début, mon travail était très intense, presque dramatique", déclare celle qu’on qualifie souvent de "chorégraphe du désastre". "Le corps était toujours en train de lutter contre lui-même, il y avait beaucoup de résistance dans le mouvement, beaucoup de distorsion. Maintenant, il est plus ouvert; il y a plus de joie et de sérénité. C’est sans doute les influences des gens avec qui j’ai travaillé."

C’est pourtant bien une atmosphère de lourdeur et de tension qui plane sur Maybe Forever. C’est aussi par des improvisations sur le corps contorsionné qu’elle en a semé les germes avec le chorégraphe autrichien Philipp Gehmacher, son nouveau partenaire dans l’aventure de la création. Quoique le langage épuré et minimaliste du Viennois détonne avec la gestuelle nerveuse et disloquée de Stuart, ils ont en commun un intérêt pour l’imperfection et la vulnérabilité. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Stuart a baptisé sa compagnie Damaged Goods (Biens endommagés).

"L’imperfection me fascine parce qu’elle révèle l’humanité, explique-t-elle. Quand on voit une personne échouer dans ses tentatives mais essayer à nouveau, on peut sympathiser avec elle et mieux se connecter à elle. La vulnérabilité permet de voir la volonté et le désir derrière les actions. Et puis je trouve qu’il y a de la beauté dans la façon dont les corps cherchent à s’adapter aux situations."

Ici, les deux créateurs cherchent désespérément à rassembler les lambeaux épars d’une relation où la rencontre n’a jamais pu avoir lieu, à trouver un moyen de survivre à l’insondable peine qui marque la fin d’un amour. Ils montrent comment s’inscrivent dans le corps les émotions et les pensées contradictoires qui les animent. La trame sonore de Vincent Malstaf porte toutes les tensions et les aigreurs du passé, à l’instar de l’image de pissenlits en noir et blanc projetée en fond de scène et des interventions ponctuelles de Stuart au micro.

"Le guitariste Niko Hafkenscheid est avec nous sur scène, précise-t-elle. Il chante des chansons très intimistes, très différentes de la musique électronique qu’il compose habituellement. On a deux partitions musicales parce qu’on voulait offrir différents points de vue sur notre relation. Le chanteur représente ce qu’on imagine, ce qu’on aimerait être ensemble."

Rien ne dure toujours. Gehmacher a beau tracer des lignes dans l’espace, ses tentatives d’établir un contact resteront vaines. Et Stuart a beau regretter le bonheur avorté, il n’adviendra pas pour autant. Pourtant, les pissenlits prendront de la couleur au fil du temps qui passe. Ainsi va la vie.