Raimund Hoghe : Beauté naturelle
Scène

Raimund Hoghe : Beauté naturelle

L’Allemand Raimund Hoghe bouleverse les codes de l’esthétique du corps dansant par la touchante et subtile mise en scène de son corps de bossu dans deux de ses plus récentes pièces de groupe: Boléro Variations et Swan Lake, 4 acts.

Jeune homme, il rêvait de devenir danseur. Sa petite taille et une malformation de la colonne vertébrale l’ont plutôt dirigé vers l’art de la plume. Originaire de Wuppertal, Raimund Hoghe débute sa carrière comme journaliste en se spécialisant dans le portrait. Passionné de théâtre, il se lance dans l’écriture d’essais sur le travail de la célèbre chorégraphe allemande Pina Bausch, dont il sera le dramaturge de 1980 à 1990. Profitant d’une période où elle se consacre à la reprise d’oeuvres anciennes, il s’essaye à la chorégraphie avec des danseurs de la compagnie. De solo en solo, il décide de se mettre en scène lui-même en 1994. Il vient de fêter ses 45 ans.

"Dans les années 90, beaucoup d’artistes mouraient du sida, et je voulais dire quelque chose sur ces morts prématurées, commente-t-il. Je m’intéressais aussi à la figure de cet immense chanteur juif allemand, Josef Schmidt, poursuivi par les nazis et mort dans un camp d’internement à l’âge de 38 ans. Il y avait dans ma démarche une prise de position politique que je ne pouvais faire que moi-même: je ne pouvais pas demander à un danseur de se connecter à l’histoire de l’Allemagne. C’est ainsi que j’ai mis mon corps sur scène, inspiré par Pasolini qui parlait de "jeter son corps dans la bataille"." Une expression originellement empruntée à un chant de la résistance des Noirs aux États-Unis.

Le pavé dans la mare est jeté et une étoile est née. Depuis, l’artiste iconoclaste a créé une douzaine d’oeuvres, solos, duos et pièces de groupe aux allures de rituels, bouleversantes et singulières, accueillies avec émoi et admiration sur la plupart des scènes du monde. Mais s’il a été qualifié à Genève de plus beau cygne jamais vu à la présentation de son Swan Lake, en Allemagne, c’est de vilain petit canard qu’il a été traité. Désolant vestige de l’idéologie nazie contre laquelle il s’inscrit tout simplement en faux en creusant son sillon.

"Je suis toujours à la recherche de la beauté, mais dans d’autres corps que ceux de la publicité ou des films avec Schwarzenegger, affirme-t-il, un brin moqueur. Pour moi, la beauté a plus à voir avec la connexion à soi. Elle émane naturellement d’une personne qui vit sa vie, qui n’essaye pas d’être quelqu’un d’autre ou de changer son corps. D’ailleurs, je ne fais jamais passer d’audition à mes danseurs: je les rencontre et leur demande de travailler avec moi quand j’ai envie de partager leur beauté avec le public. Ils sont tous très différents. Il n’y a ni comparaison possible ni compétition. Les qualités de chacun sont mises en valeur."

Dans les deux oeuvres présentées à Montréal, Hoghe partage la scène avec des hommes magnifiques et Ornella Balestra, ex-danseuse étoile des Ballets Béjart. "C’est la seule femme parce qu’elle est très puissante et qu’il est très difficile de mettre une autre danseuse sur scène avec elle: elle a une longue histoire et, pour moi, elle a tous les âges et elle représente toutes les femmes." Le fait que l’histoire du Lac des cygnes comprenne plusieurs personnages féminins pose d’autant moins problème que le traitement ici en est abstrait et que chacun des danseurs interprète divers rôles à divers moments.

"C’est une pièce sur l’amour et le désir d’amour, commente celui qui termine en cygne agonisant. J’ai une relation très forte sur scène avec Lorenzo de Brabandere, mais il s’agit d’amour universel et de tendresse, pas de sexe." Cette pièce, tout comme Boléro Variations, dure plus de deux heures avec entracte. Et que la musique soit de Tchaïkovski, Ravel, Verdi ou de compositeurs sud-américains, elle est totalement incarnée dans la danse minimaliste de Hoghe qui n’impose pas de gestuelle, mais crée des atmosphères propices à la naissance des oeuvres. C’est sans doute là un des secrets de leur intensité.

Du 25 au 28 mai
À l’Espace Go
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