Samuel Finzi : Ombres et brouillard
Scène

Samuel Finzi : Ombres et brouillard

Samuel Finzi incarne le rôle-titre d’Iwanow, un Tchekhov anticonformiste, créé à la Volksbühne de Berlin.

Sur une scène totalement nue, des acteurs émergent du brouillard pour venir à tour de rôle jouer leurs petits numéros. Éloigné du naturalisme tout autant que de l’esbroufe, le Iwanow de Dimiter Gotscheff, grand metteur en scène allemand d’origine bulgare né en 1943, exposerait à la vérité première du théâtre, à son essence. Créé en 2005 à la Volksbühne de Berlin, cette maison dirigée par l’avant-gardiste Frank Castorf, le spectacle est semble-t-il porté par la performance de Samuel Finzi dans le rôle-titre.

Selon l’acteur, lui aussi d’origine bulgare, les artistes et le public ont, depuis quelques années, une nouvelle perception du théâtre de Tchekhov. "Heureusement, les metteurs en scène ont réussi à se libérer de la psychologie, du sentimentalisme et du "samovar". Aujourd’hui, le rapport du spectateur au rythme de ce théâtre a complètement changé. Le public est devenu plus ouvert, capable de voir l’ambigüité des personnages, de comprendre le désespoir de l’auteur et son amour de l’être humain. Tchekhov a créé des personnages très proches de nous. Comme comédien, je ne suis que le médiateur de leurs histoires. Je dois rester le plus transparent possible, pour laisser apparaître la poésie du texte."

On se demande tout de même ce qui attire à ce point les metteurs en scène d’aujourd’hui, et pas les plus conservateurs, vers cette dramaturgie. Samuel Finzi a sa théorie. "Tchekhov est un grand observateur de l’existence humaine. C’est ce qui rend son théâtre indémodable. Les êtres humains font, aujourd’hui comme hier, les mêmes fautes, profitent des mêmes avantages." Ainsi, les fautes des personnages d’Iwanow seraient un peu les nôtres. Difficile, en effet, de balayer leur lâcheté, leur pingrerie et leur racisme du revers de la main. C’est bien de nous, de notre société, dont il est question.

Jetant constamment des ponts entre le comique et le tragique, la première pièce de Tchekhov positionne toute une galerie de personnages autour d’un homme au bord du gouffre. Plus la situation de cet oisif endetté paraît désespérée et plus ses malheurs nous font sourire. Remuant l’oeuvre dans tous les sens, s’autorisant les ruptures de ton les plus franches, Gotscheff et son équipe n’ont pas voulu choisir entre le drame et la comédie. Employer le rire pour exprimer la mélancolie, les remords et le désespoir, c’est souvent très efficace. Quand on le fait bien, avec tout le doigté que cela exige, c’est d’une cruauté sans nom.

Ainsi, la grande force de la mise en scène de Gotscheff serait d’épouser le génie tchékhovien en donnant au désespoir et à l’exaltation le même poids. "Dans la vie, rappelle Finzi, toute situation peut être observée de deux points de vue, au moins. C’est exactement ce que j’adore chez Tchekhov. Grâce à son ironie amère, on ne sait jamais si le personnage dit la vérité. Chez Tchekhov, tragédie et comédie vont toujours ensemble. Dans notre spectacle, nous essayons de donner au public la possibilité de choisir l’un des deux côtés de la situation, celui de la comédie ou celui de la tragédie. Libre à chacun de décider."

Les 1er et 2 juin
Au Monument-National
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