Iwanow : Naviguer dans le brouillard
Scène

Iwanow : Naviguer dans le brouillard

Avec son Iwanow, Dimiter Gotscheff, de la Volksbühne de Berlin, oscille voluptueusement entre tragédie humaine et comédie aux accents grotesques.

La scène, immense et dépourvue de coulisses, est complètement nue. Et puis du vide émerge un brouillard plus ou moins opaque, dissimulant ou dévoilant les personnages qui s’y cachent. Dans cette mise en scène qui laisse de côté le salon bourgeois et les paysages de campagne russe, la présence de cette énigmatique fumée dansante pose de nombreuses questions.

Symbole du trouble qui affecte Iwanow, de la distance le séparant de ses semblables ou alors représentation étouffante des échecs de sa vie, le brouillard est dense, poétique et évocateur. Mais surtout, il dirige le regard vers la galerie de personnages qui en émerge: rien d’autre n’existe que ces corps et ces voix qui se manifestent sous une lumière vive.

Même s’il a recomposé une nouvelle partition à partir des deux versions connues de la pièce de Tchekhov (l’une comique, l’autre dramatique), Dimiter Gotscheff s’en tient pour l’essentiel aux textes originaux du dramaturge russe. On assiste bien à l’histoire d’un propriétaire terrien endetté, incapable de fournir des soins appropriés à sa femme malade qu’il n’aime plus, fuyant une vie qui ne lui convient plus au moyen d’escapades chez les Lebedev, où la jeune Sacha lui promet un amour régénérateur et où la matrone Zinaida le presse de lui remettre de l’argent qu’il lui doit.

C’est par le traitement légèrement grotesque du corps et de la voix que le metteur en scène donne aux personnages une nouvelle dimension. Cet Iwanow interprété par Samuel Finzi, au regard vide et impassible, se lance pourtant dans des colères bruyantes et éclatantes, aux gestes nerveux et excessifs. L’excès caractérise d’ailleurs le jeu des acteurs de cette production, qui interprètent les plus grandes émotions du texte dans les cris, les mouvements étendus des bras et le tremblement nerveux. Ce choix d’un jeu corporel et démonstratif s’avère plutôt efficace, suscitant à la fois le rire et l’émotion.

On est séduit par les costumes et les compositions des personnages formant une sorte de communauté improbable et colorée. La mise en scène joue allègrement des figures de groupe, se moquant gentiment de la petite bourgeoisie dans laquelle évolue Iwanow. À la fois omniprésente et effacée derrière le brouillard, la galerie de personnages fait s’opérer une charmante dichotomie entre l’individu et le groupe, dévoilant l’existence de l’homme dans une civilisation qui l’étourdit. Tchekhov ramené à sa source première.

Jusqu’au 2 juin
Au Monument-National
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