L’Invisible : Mondes parallèles
Avec L’Invisible, Marie Brassard poursuit son exploration du double et de l’apparition spectrale en faisant se rencontrer la présence humaine et les environnements technologiques.
"Je suis à Berlin, le mur est toujours là, je marche dans la zone interdite." L’Invisible commence sur ces paroles, après que Marie Brassard fut apparue au milieu d’une scène jonchée d’appareils d’éclairages et traversée à la verticale d’une bande métallique, frontière entre l’est et l’ouest, entre l’être et son double, l’individu et ses identités multiples. Berlin est ici le lieu métaphorique de la démultiplication de soi, de la rencontre entre l’être humain et les possibilités infinies de son monde intérieur.
Aspirée par les éclairages mouvants du collaborateur finlandais Mikko Hynninen et la musique électro-planante d’Alexander MacSween, Marie Brassard apparaît toute petite, délicate et fragile. C’est pourtant vers elle que se tournent tous les regards, à mesure qu’elle déambule dans l’espace et interroge les présences spectrales qu’elle ressent tout autour d’elle et que la lumière matérialise à sa manière. D’une voix douce, naïve mais introspective, amplifiée et traficotée au moyen d’effets d’écho ou de robotisation, elle raconte les personnages qui l’habitent et qu’elle semble découvrir en même temps que nous. Il en résulte un objet étrange, inclassable, fascinant, mais par moments austère et hermétique.
Certes, les thèmes du double et de l’altérité sont d’une grande richesse et le texte de Brassard fait s’enchaîner les mondes parallèles et les traces de la mémoire avec sensibilité. "Mes pas résonnent dans le silence de l’absence des autres", dit-elle d’une voix profonde. Une réplique emblématique des obsessions de cette femme, à la fois seule au milieu du néant et plongée au coeur de toutes les présences. Mais, entre les passages narratifs, les gémissements chantés et soupirés, les séquences stroboscopiques et les étranges explorations sonores, le spectateur ne sait pas toujours où donner de la tête. Tout cela ne manque pas de cohérence, mais présentée de manière aussi brute et radicale, l’expérience est très exigeante et on risque de s’y perdre. En somme, L’Invisible est une hallucinante et déroutante performance, pour spectateurs avertis.