Roger Sinha : Danse branchée
Roger Sinha expérimente les technologies interactives et le travail de l’image dans un spectacle où il présente aussi deux pièces avec Natasha Bakht.
À l’heure où le FTA bat son plein, Roger Sinha sort des sentiers battus et de son circuit habituel de diffusion pour investir la petite salle du MAI. C’est qu’il innove avec Zeros & Ones en proposant un solo où il improvise, branché à un attirail qui déclenche de manière aléatoire l’émission d’extraits d’un texte qu’il dit lui-même tout en dansant.
"Je crée toutes mes pièces avec l’improvisation, mais je ne l’ai jamais utilisée en spectacle parce que je me perds rapidement, indique-t-il. J’ai besoin d’un fil conducteur. Avec la technologie interactive et un texte avec une thématique précise, j’ai trouvé une façon de guider le travail pour pouvoir improviser sans me poser de questions sur le sens de ma présence sur scène."
Le thème, c’est celui de l’Inde à l’heure d’un développement économique dominé, justement, par les technologies. Le texte, à la fois poétique et engagé, a d’ailleurs été trouvé grâce à un concours lancé par Sinha sur des sites Internet d’écrivains sud-asiatiques. Il parle des technologies qui creusent un peu plus le fossé entre les riches et les pauvres, de l’injustice, de la corruption et autres maux de l’Inde moderne. Enregistré par plusieurs personnes, il a été monté en quatre récits à narrateurs multiples défilant simultanément sur une machine qui déclenche le son aléatoirement à partir des mouvements du danseur. C’est alors un véritable choeur qui l’accompagne pour quelques mots ou quelques phrases.
Mais ce n’est pas la seule surprise que ce fils d’Indien et d’Arménienne nous réserve. Deux petits films qu’il a tournés à Kolkata (anciennement Calcutta) traduisent avec humour et ironie le choc des cultures. "Je ne me moque pas, je cherche juste à exprimer la confusion qui s’installe quand l’Occident impose quasiment ses valeurs et ses façons de vivre à d’autres cultures, déclare Sinha. Et j’observe que la culture occidentale prend beaucoup de place en Inde."
C’est aussi dans l’ex-capitale du pays que le chorégraphe a retrouvé Natasha Bakht en janvier dernier pour créer Thread, nouveau duo de ceux qui nous ont ravis en 2000 avec Loha. "Nous voulions voir comment nos corps réagissaient dans un autre environnement, précise Sinha. La pièce est dans la lignée de Loha, très abstraite, mais avec une énergie très différente de l’énergie occidentale où c’est chargé, dense et où ça bouge tout le temps. En Inde, il y a une lenteur qui s’installe. On n’a pas le choix: tout prend tellement de temps là-bas! Et puis il y a l’âge aussi. Je n’ai plus envie de faire des choses trop athlétiques."
Pourtant, le solo que la Torontoise a créé pour lui dans la pièce a beau être minimaliste, il est plutôt physique et le confronte dans sa manière de créer. Choc des cultures positif et créateur. Enfin, pour clore ce spectacle de 70 minutes avec entracte, Bakht danse Still, oeuvre créée en 2006 à Ottawa par Yvonne Coutts. "J’aime beaucoup ce solo qui a peu tourné parce qu’il n’a rien à voir avec la culture indienne, commente Sinha. C’est de la danse contemporaine théâtrale qui montre un côté vulnérable de Natasha qu’on n’a jamais vu." Une belle occasion de découvrir des aspects méconnus de ces deux talentueux artistes.