Roland : Chant de bataille
Le Théâtre de la Pire Espèce est de retour avec Roland, une nouvelle et remarquable création signée Olivier Ducas.
Pour Olivier Ducas, Roland est ce qu’il est convenu d’appeler une première. Membre fondateur du Théâtre de la Pire Espèce, le dynamique collectif qui nous a donné Ubu sur la table et Persée, le jeune homme signe ici son premier texte et sa première mise en scène en solo. Histoire de rendre l’expérience plus vertigineuse, la production est expressément destinée au jeune public, une première pour la compagnie.
Que Roland s’adresse à des spectateurs de 10 ans et plus, ceux que Ducas décrit dans le programme comme de "vieux enfants" ou encore de "jeunes ados", n’altère en rien le plaisir du spectateur adulte. Le court spectacle est une brillante adaptation de La Chanson de Roland, ce poème épique de la fin du 11e siècle qui raconte les exploits d’un chevalier engagé dans une guerre sainte, celle qui oppose les chrétiens et les musulmans, "une vieille affaire pas réglée ", ironise Ducas. Avec quelques marionnettes, un castelet et une batterie d’accessoires, mais surtout avec les ombres fantastiques que tout cela produit sur de grandes toiles judicieusement placées, Daniel Desparois et Geoffrey Gaquère nous font revivre les faits saillants de l’aventure. Tout cela est d’une cruauté sans nom, une violence que seul le théâtre d’objets peut rendre supportable, mais le voyage est aussi d’un magnétisme et d’un humour irrésistibles. La musique, épique à souhait, évoquant les clichés du cinéma d’aventures, ajoute, elle aussi, une bonne dose d’ironie. Soyons honnêtes, l’ensemble est plus concluant, plus éclairant et plus inspirant que bien des cours de littérature médiévale. Il reste évidemment quelques passages à resserrer, quelques clins d’oeil à inclure, quelques anachronismes à semer, mais on peut d’ores et déjà prédire au spectacle un avenir reluisant.
Dans cette profusion de voix et d’images, les comédiens sont bien plus que des manipulateurs. Gaquère porte l’armure de Roland et Desparois, celle de son compagnon Olivier mais, par moments, ils sont aussi des citoyens-comédiens qui s’interrogent vigoureusement sur le manichéisme de l’oeuvre, sur sa triste actualité, sur les failles de la logique guerrière et sur les rouages trop bien huilés de la manipulation des masses par la religion. Pour dire son attachement à l’un des chefs-d’oeuvre de la littérature médiévale, Olivier Ducas ne s’est heureusement pas contenté de l’adapter bêtement, il a choisi la distance et le regard critique. Tant mieux, parce que c’est précisément ce qui distingue les banales adaptations des captivantes relectures.