Alain Pralon : L’Immortalité
À l’occasion du 26e Festival Juste pour rire, Alain Pralon et la troupe de la Comédie-Française viennent défendre les personnages du Malade imaginaire de Molière. De la grande visite.
Il y a en effet de quoi se réjouir puisque la Comédie-Française n’est pas passée par Montréal depuis tout près d’un quart de siècle. Grâce à l’organisation du Festival Juste pour rire, le comédien Alain Pralon, membre de la prestigieuse compagnie parisienne depuis 1965, s’apprête à fouler la scène du TNM dans les habits d’Argan, le rôle-titre du Malade imaginaire. L’ultime comédie de Molière, l’une des pièces les plus jouées au sein de l’institution fondée en 1680, sera présentée à Montréal dans la version de Claude Stratz, un metteur en scène suisse décédé, en 2007, à l’âge de 60 ans. Depuis sa création en 2001, le spectacle, qui met en scène 6 musiciens et 12 comédiens – dont la charismatique Catherine Hiegel dans le rôle de Toinette – n’a cessé de recueillir les éloges.
Nous sommes dans le 1er arrondissement de Paris, entre les murs d’un théâtre mythique, logé depuis 1799 au coeur du Palais-Royal. Dans une magnifique salle de conférence, Alain Pralon expose sa théorie sur l’immortalité du Malade imaginaire, un texte qu’il a joué près de 300 fois. "La pièce n’est pas démodée, explique le comédien qui en sera à sa première visite au Québec. Elle est toujours moderne, toujours d’actualité. Il y est question de la maladie, de la mort, de l’hypocondrie, mais surtout, de la violence des rapports parents-enfants." Vous vous souviendrez qu’Angélique aime Cléante, mais aussi que son père, Argan, se sentirait plus rassuré de la marier à Thomas Diafoirus, le fils d’un médecin. Une fois de plus, le destin de jeunes amoureux est contrarié par l’aigreur d’un père.
Sur ce conflit intergénérationnel dans l’oeuvre de Molière, Pralon estime que le regard des metteurs en scène a changé. "La contestation des enfants, c’est présent dans Le malade imaginaire, mais aussi dans Tartuffe et L’Avare. C’est un aspect qu’on avait, surtout au 19e siècle, occulté, passé sous silence, et qu’on a remis en lumière au 20e siècle. Peut-être est-ce que tout ça s’est fait dans la foulée de mai 68. Quoi qu’il en soit, cette nouvelle vision de l’oeuvre lui donne une actualité brûlante."
UNE OEUVRE BILAN
La dimension prémonitoire et testamentaire du Malade imaginaire semble fasciner le comédien. "Molière parle de lui, de ses rapports avec les femmes, souvent difficiles, de l’argent, de la mort et de la maladie, mais il le fait toujours en se moquant, en faisant preuve d’une magnifique autodérision. La pièce est un superbe testament, le résumé d’une oeuvre et d’une vie. Je pense que Molière sentait que cette pièce était sa dernière."
Dans Le malade imaginaire, Molière aborde, avec une dérision irrésistible, notre peur viscérale de la mort, notre soif d’immortalité. Selon Alain Pralon, il se greffe à cette angoisse une autre peur fondamentale, celle de ne pas savoir aimer. "À la fin de la pièce, Argan découvre qui sont les gens qui l’aiment et ceux qui ne l’aiment pas, mais surtout, il s’aperçoit qu’il n’a pas su aimer. Son angoisse et son hypocondrie l’ont rendu acariâtre, replié sur lui-même, méfiant. Il a peur, s’il donne, de ne pas être payé en retour. Ça aussi, c’est d’une grande actualité."
Mais qu’en est-il de la mise en scène de Claude Stratz? Qu’est-ce qui lui vaut cet accueil exceptionnel? "Je dirais qu’il n’y a aucune complaisance, lance Pralon, ni dans le comique ni dans le pathos. C’est la grande qualité de cette mise en scène. Elle est traditionnelle, absolument pas iconoclaste, mais elle est aussi, à mon sens, très moderne, parce qu’elle résonne aussi bien dans la tête des vieux que dans celle des jeunes. On n’est pas dans les effets; on est dans la vérité, dans la concrétude des rapports entre les personnages." Cela dit, la représentation fait tout de même la part belle aux chants et à la musique. À ce qu’on dit, le Polichinelle du Carnaval de Paris n’est jamais bien loin.
Du 11 au 20 juillet
Au TNM