Frédéric Teyssier : La grand-messe
À l’occasion du Festival Juste pour rire, Frédéric Teyssier joue d’audace en présentant en plein air une tragédie politique adaptée du Coriolan de Shakespeare: Caïus.
Dans sa France natale, alors qu’il n’était encore qu’un gamin, Frédéric Teyssier traînait dans les fêtes foraines et était fasciné par "la proximité des hommes de foire avec leur public". Naturellement, le petit garçon devenu grand a choisi de sortir le théâtre dans la rue, pour "confronter la scène à des gens qui ne sont jamais allés au théâtre et éviter de s’emprisonner dans des forteresses à trente dollars l’entrée".
Teyssier est un pionnier de ce genre qui tarde à obtenir une reconnaissance au Québec. Pour créer Caïus, il s’est vu refuser deux demandes de subvention. Qu’à cela ne tienne, il s’est tourné vers Juste pour rire, qui lui a accordé toute sa confiance. Et des fonds, il en fallait. Caïus est à ce jour le plus gros projet de L’Ange à deux têtes. La compagnie fondée en 1993, qui fait généralement dans les spectacles déambulatoires, prend cette fois d’assaut une imposante scène en plein air, avec une grosse distribution, pour un spectacle qui multiplie les formes scéniques: projections vidéo, ombres chinoises, trame sonore cinématographique et jeu d’armes avec un immense canon.
C’est la première fois que Teyssier se frotte à un texte du répertoire. "Je n’ai pas de rapport particulier à Shakespeare, dit-il. Mais je voulais parler de la guerre." Interpellé par l’envoi de soldats canadiens en Afghanistan, déçu du faible degré de conscience des Québécois sur cette question, il se met à faire des recherches: "Je me suis aperçu que Shakespeare marchait à mes côtés. La double trahison, la fragilité de la démocratie, la manipulation du peuple, tout ça est parfaitement exprimé dans Coriolan." Ainsi, à partir de la traduction française de François Guizot, Teyssier écrit son spectacle, qu’il veut concentrer sur les événements clés de la pièce (l’échec de l’accession au pouvoir de Coriolan, guerrier romain revenu victorieux de la guerre contre les Volsques, forcé d’assassiner sa propre mère, et son exécution commandée par le peuple).
La scénographie est lourde, mais le metteur en scène mise d’abord sur le jeu d’acteur. Il s’est entouré de complices de longue date, parmi lequels Didier Lucien (dans le rôle de Caïus), Jean Boilard, Guillaume Chouinard, Guillermina Kerwin et Michel-André Cardin, "tous des acteurs solides qui ont une grande expérience de la rue et qui sont prêts à interagir avec la foule au besoin". C’est une tragédie, certes, mais le créateur continue de la voir comme une suite de numéros de rue. "Je veux que les acteurs soient corporellement investis et qu’ils se permettent de varier le rythme et l’intensité pour se mettre au diapason de la foule." Surtout, il désire ardemment que ce spectacle soit une "grand-messe" populaire, que le public se permette d’intervenir ou de boire un coup, tout en savourant les inflexions littéraires du texte et sa portée politique. Défi de taille.
Jusqu’au 20 juillet
Au stationnement Ontario Est
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ANTIUM: EN VOITURE!
En parallèle de Caïus, Teyssier a imaginé Antium, un parcours théâtral pour spectateur seul, invité à prendre place dans des voitures modifiées, animées par des acteurs de la pièce. Ces habitacles hétéroclites sont ouverts au public tous les soirs avant les représentations. Dans Le Dinosium, par exemple, les enfants sont invités à observer un vrai bébé diplodocus. Le Crusium s’adresse plutôt aux célibataires désirant rencontrer l’âme soeur sous la supervision persuasive d’un psy. Des habitacles ludiques, qui répondent au désir de L’Ange à deux têtes de communier avec son spectateur, tout en s’inspirant de ses spectacles antérieurs (Cubiculum, La Boate ou La Grosse Caisse, par exemple).