Nono : Amours chiennes
L’amour, souvent contraint au modèle du Harlequin dans la culture populaire, est froidement dépeint dans Nono, cette pièce de Sacha Guitry présentée par le 100 Masques.
Pour sa mise en scène de Nono, Dario Larouche plonge littéralement dans le texte de Sacha Guitry. Il a sondé les profondeurs de chacun des personnages pour en amplifier drôlement les défauts par différents jeux particulièrement physiques – parfois à l’excès, comme c’est le cas de Madame Weiss (Marilyne Renaud) qui, dès les premières répliques, tient plus d’une chienne jalouse et boudeuse que d’une véritable maîtresse. Les différents personnages imaginés par Guitry il y a plus d’un siècle sont exagérés à ce point que l’on peut difficilement s’identifier à eux. Et pourtant, le propos est on ne peut plus actuel.
Malgré le côté exploratoire assumé du travail de Larouche, pas de casse-tête – hormis celui, indissociable, des relations amoureuses. On profite de l’humour rafraîchissant d’un texte relevant les pires vérités de l’amour, le tout présenté dans une mise en scène qui ne fait pas de compromis, exigeante et intelligente. En fait, l’esthétique de Larouche y est très présente: le recours au choeur, une inspiration burlesque, et cette façon dont les comédiens deviennent des objets qu’on peut déplacer ou dont on peut disposer au besoin… En reconnaissant le travail de Larouche, on comprend que le texte, au lieu d’être seulement joué, est véritablement interprété – ce qui manque parfois au théâtre.
L’excès dans le jeu, que certains reprocheront peut-être à la production, est équilibré par une scénographie particulièrement épurée, tant par le nombre des accessoires que par les couleurs prédominantes. Les tableaux successifs empruntent des chemins de teintes différentes – le noir du deuil, le rouge de la passion, puis la blancheur virginale, comme si le décor permettait d’inverser le cours normal des choses. Sans doute parce qu’avec Guitry, la passion neuve naît des cendres des anciennes (et chiennes) amours…
S’il y a un choix discutable, c’est sans doute le degré caricatural inégal des personnages. Il passe de léger, par exemple avec le personnage de Robert (joué par un Frédéric Jean pas toujours convaincant) à extrême (le valet, joué par Alexandre Larouche, et surtout Madame Weiss). Émilie Bouchard Jean se débrouille plutôt bien dans son rôle de jeune pimbêche à la fois naïve et séductrice – on la sent spectatrice impuissante du pouvoir qu’elle a sur les hommes, ce qui ne l’empêche pas d’en profiter. Et lors de mon passage, le jeu de Jérémie Desbiens (Jacques, pauvre flanc mou qui se verra cocufié par son meilleur ami) aura été tout simplement impeccable.
Enfin, peut-être Larouche était-il sincère lorsqu’il a décidé de verser dans le placement de produits, introduisant des séquences publicitaires délinquantes entre (et pendant!) les tableaux. Il est vrai que le théâtre, peut-être en particulier celui du 100 Masques, éprouve des difficultés… Mais à ce point? Oubliée la surprise de ces premiers écarts, la pratique devient rapidement lassante, voire exaspérante, foyer d’arythmie dont on se passerait volontiers. Je me serai toutefois réconcilié avec ces intermèdes incongrus lorsque les personnages eux-mêmes se seront révoltés contre le phénomène…
Malgré cela, à la barre du 100 Masques, jouant sur tous les tableaux, Dario Larouche arrive à une harmonie qui saura plaire à la fois à ceux qui préfèrent leur théâtre d’été rigolo autant qu’aux amateurs d’un théâtre plus expérimental.
Jusqu’au 19 juillet
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Madame et Le Choeur du pendu, de Dario Larouche, le vaudeville