Vincent Baudriller : Heureuse association
Alors que le 62e Festival d’Avignon bat son plein, nous nous entretenons avec Vincent Baudriller, codirecteur artistique de l’événement, de passage à Montréal il y a quelques semaines pour une visite de reconnaissance.
Depuis 2004, Vincent Baudriller et Hortense Archambault codirigent le Festival d’Avignon. Leur projet s’articule autour d’une idée forte, celle de l’artiste associé. "L’équipe du Festival, précise un document rédigé en 2002, établira un dialogue autour de son univers et de sa pratique artistique, se nourrira de son regard d’artiste sur le monde et sur le spectacle, se fera bousculer par ses questionnements." L’objectif est donc de donner plus de cohérence et une tonalité propre à chaque édition.
En 2004, l’artiste associé était Thomas Ostermeier, metteur en scène et jeune codirecteur artistique de la Schaubühne de Berlin. En 2005, Jan Fabre, sulfureux artiste flamand. En 2006, Josef Nadj, chorégraphe français d’origine balkanique. En 2007, Frédéric Fisbach, metteur en scène français des plus novateurs. Cette année, ils sont deux, la comédienne française Valérie Dréville et le metteur en scène italien Romeo Castellucci. En 2009, ce sera au tour de l’auteur, metteur en scène et acteur québécois d’origine libanaise Wajdi Mouawad d’inspirer la programmation du Festival. Pour éclaircir la notion d’artiste associé, on a publié il y a peu, avec la collaboration des éditions P.O.L, une conversation entre Valérie Dréville, Romeo Castellucci, Hortense Archambault et Vincent Baudriller. Ce texte, éclairant, révèle de nombreuses affinités entre une actrice et un metteur en scène aussi fascinés l’un que l’autre par le mystère de la représentation. On peut le télécharger sur le site du Festival.
"Le Festival s’est créé sur deux idées, rappelle Baudriller. Des idées qui ont été posées par Jean Vilar dès la première année, en 1947. Tout d’abord, Avignon est un festival de créations, un festival où les artistes viennent créer des spectacles, où il y a une prise de risque, de la part des artistes comme des spectateurs. La deuxième idée, c’est que c’est un festival destiné à un large public, un public large en termes de génération et de statut social. Notre projet est toujours bâti sur ces idées-là. Cette année, au moment où le programme est parti à l’imprimerie, je n’avais vu que 8 des 35 spectacles. En ce qui concerne le public, il faut dire que cette année, des gens vont découvrir le théâtre en entrant par la porte Castellucci. Ce n’est pas rien."
Quand on lui fait remarquer que la démarche de Castellucci n’est pas précisément grand public, Baudriller répond: "Eh bien, on la fait devenir grand public! On dit qu’il faut offrir au public ce qu’il attend. Moi, je prône le contraire. Je pense qu’il faut offrir au public ce qu’il n’attend pas. Bien sûr, je suis conscient que cela va à l’encontre d’une certaine pensée de la culture."
DÉPLOYER UNE OEUVRE
Choisir un artiste associé, c’est choisir d’entrer en profondeur dans un univers qui le mérite. "Si on présente plusieurs spectacles, une exposition, des lectures, etc., on peut se permettre d’aller plus profondément dans l’oeuvre d’un artiste, de la déployer, estime Baudriller. Tout cela pour rendre compte de sa diversité, de sa richesse et de sa complexité. C’est de là qu’est née l’idée de l’artiste associé."
Ainsi, deux ans avant le Festival, une discussion démarre entre les codirecteurs et l’artiste associé. "Dans un premier temps, on discute de façon générale. On parle du théâtre. Du monde. De comment il va et comment il ne va pas. On se demande comment le théâtre peut parler de ça. Comment on fabrique le théâtre. Pourquoi le théâtre est encore nécessaire. C’est un moment absolument indispensable pour chaque année rester éveillé, chaque année me poser des questions différentes, chaque année rester énervé. Ensuite, nourri par cette discussion, je fais la programmation et laisse l’artiste préparer ses créations, rêver sa présence au Festival. Tout cela donne beaucoup de dynamisme, en plus de nous permettre de faire chaque année un Festival différent."
Avec Wajdi Mouawad, qui défend cet été à Avignon un spectacle solo intitulé Seuls presque dix ans après y avoir présenté Littoral, l’échange est bel et bien enclenché. "L’artiste associé, c’est d’abord un artiste dont l’oeuvre me fascine, dont le travail suscite mon admiration, avoue Baudriller. En même temps, c’est quelqu’un chez qui il y a une richesse qui va nous permettre d’avoir toutes ces discussions. Chaque année, je fais bien attention pour que ce soit des artistes fort différents. Dans le cas de Wajdi, il y a une riche personnalité, beaucoup de personnes dans le même artiste. Il est à la fois québécois et libanais, auteur et metteur en scène. C’était idéal. Avec Seuls, un spectacle très différent de ce qu’il a fait avant, il donne une place à un certain mystère, une émotion plastique et visuelle très forte. En écho à Castellucci, je trouve ça très bien, ça incarne quelque part la rencontre entre un théâtre des mots et un théâtre de l’image."
Au sujet de ce qui se prépare pour 2009, des artistes qu’on pourrait retrouver au menu, Baudriller ne veut tout simplement rien dire. "Il est trop tôt pour en parler. Les choses bougent encore beaucoup. Par contre, je pense qu’on essaiera de revenir l’année prochaine, une fois que le programme sera fait, pour raconter ce dialogue et son résultat."
En insistant, on finit par savoir qu’il est possible que la programmation du Festival 2009 soit plus québécoise que d’ordinaire. "Disons que c’est effectivement l’occasion pour moi de revenir au Québec et de prendre plus de temps pour m’intéresser à la scène québécoise. Chaque choix de programmation, au final, ne répond qu’à une chose, soit à une rencontre forte avec un artiste et à une envie de partager l’oeuvre de cet artiste avec le public du Festival. C’est vrai que le fait d’orienter mes voyages notamment vers Montréal et Québec, ça favorise des rencontres."
62e Festival d’Avignon
Jusqu’au 26 juillet
Info: www.festival-avignon.com
LIVRES D’HISTOIRE
Pour en savoir plus, il faut consulter les quelques livres qui sont parus en 2006 dans la foulée du 60e Festival d’Avignon. Antoine de Baecque a profité de l’anniversaire pour mettre à jour Avignon, le royaume du théâtre, un ouvrage de la collection Découvertes Gallimard initialement paru en 1996, en plus de livrer avec Emmanuelle Loyer une véritable somme: Histoire du Festival d’Avignon, chez Gallimard toujours. Chez Actes Sud, Bernard Faivre d’Arcier, directeur du Festival de 1981 à 1984 et de 1993 à 2003, donne, sur un ton personnel et captivant, sa version des faits dans un ouvrage intitulé Avignon vue du pont. Finalement, dans un livre intitulé Les Voix d’Avignon et sur un CD contenant 7 heures d’une émission de radio, Le Feuilleton d’Avignon, Bruno Tackels a réuni 60 ans d’archives, de lettres et de documents inédits. Le précieux témoignage est publié conjointement par France Culture et Seuil.