María Muñoz : Libre comme l'air
Scène

María Muñoz : Libre comme l’air

María Muñoz, figure majeure de la danse actuelle, est l’une des quatre chorégraphes au menu de l’événement Destinations: Danse, dont la première édition est consacrée à la Catalogne, communauté autonome du Nord de l’Espagne.

Née en 1963 dans le Sud de la péninsule ibérique, María Muñoz est un exemple parmi d’autres de la façon dont la danse contemporaine a fleuri au début des années 80 en Espagne, après 36 ans d’une dictature sévèrement encadrée par l’Église catholique. Athlète spécialisée en course de vitesse, elle se détourne de la compétition à l’âge de 18 ans et trouve dans la danse une façon d’unir ses trois passions: le travail du corps, la musique et le besoin de raconter des histoires.

"À cette époque, il y avait des balbutiements de création en danse contemporaine à Barcelone, mais les possibilités de se former étaient très limitées, se souvient-elle. Moi, je vivais à Valence et j’ai décidé de partir directement à l’étranger parce que j’avais besoin d’un contraste. Je suis allée en Hollande où j’ai suivi une formation avec des professeurs très variés."

À l’instar de très nombreux chorégraphes et interprètes de sa génération, Muñoz se forme à la technique release et au contact improvisation en Europe. Repérée par le Japonais Shusaku Takeuchi à l’occasion d’un stage, elle est engagée dans sa compagnie qui conjugue danse, mime et théâtre physique. Pendant deux ans, entourée d’artistes d’horizons divers, elle y reçoit sa véritable formation. Sa trajectoire en restera résolument marquée. "J’ai découvert à ce moment-là beaucoup de choses sur le travail du corps dont j’avais rêvé l’existence et que je visualisais, confie-t-elle. Par exemple, la façon très japonaise de travailler le mouvement avec densité: on prenait énormément de temps pour matérialiser une proposition. Ou encore, comprendre que le temps du corps peut être variable, comprendre sa capacité de suggestion, d’énoncer ce que les mots ne peuvent pas dire… À ce moment-là, je ne le comprenais peut-être pas encore mais je le percevais." L’expérience est fascinante, mais il faudra attendre encore quelques années pour que l’Espagne entre dans la Communauté européenne. Artiste sans papiers, María Muñoz décide de rentrer au pays.

LE RETOUR AU BERCAIL

À l’instar de ce qui se passe au Québec, la danse contemporaine commence à foisonner en Catalogne dans les années 80. À Barcelone, des pionniers ont défriché le chemin. Influencés par le passage de Merce Cunningham à Sitges, ville du bord de mer, ou par leurs séjours à New York, ils ont ouvert des ateliers de techniques Cunningham, Graham et Limon, que Muñoz ne connaît pas encore. Elle fera un nouvel apprentissage auprès d’Angels Margarit, également à l’affiche de l’événement Destinations: Danse, et de Cesc Gelabert, une des figures de proue de la nouvelle danse espagnole, qui deviendront plus tard des collaborateurs.

En 1985, la jeune chorégraphe-interprète monte une première compagnie avec une compatriote. Pep Ramis, artiste multidisciplinaire de formation plutôt musicale et visuelle, est leur technicien. Après deux ans de collaboration, Ramis et Muñoz décident de monter leur propre structure, Mal Pelo, du nom d’une île déserte du Pacifique située au carrefour de courants marins et balayée par les alizés. "Le projet artistique était de créer un noyau créatif à partir de ce que nous pouvions mettre en commun et, de là, créer un groupe de collaborateurs qui pouvaient partager notre imaginaire et apporter leurs connaissances dans le champ de la musique, de l’éclairage et de l’interprétation, raconte-t-elle. Une des conditions premières de notre aventure était aussi de sortir de Barcelone, qui nous avait tant donné pendant cinq ou six ans. Nous y avions créé des liens très forts en construisant un paysage culturel que les années de dictature ne nous avaient pas donné, mais nous avions besoin de changer de lieu de vie pour développer la création et porter un regard sur ce que nous faisions." Le couple de créateurs s’installe alors dans une vieille ferme de la campagne catalane.

ESSAIMER LA CREATION

Dans les premières années, elle lui apprend à danser, il lui enseigne à travailler avec l’espace, la musique et les objets. Ils développent d’abord des oeuvres où la scénographie, composée de choses simples qui se transforment grâce à une mécanique, contribue à créer une dramaturgie très picturale qualifiée de surréaliste par les critiques. Ils travaillent alors selon le principe classique de la "boîte noire" avec une scène à l’italienne. En 2002, ils amorcent un virage en intégrant des textes forts, en épurant au maximum la scénographie et en exposant tout au public, souvent placé de manière moins conventionnelle. À l’image de leurs contemporains, leur vocabulaire est une synthèse de toutes sortes d’influences grappillées au fil des ans et des rencontres.

"Dans notre travail, le corps est le point central par lequel tout passe, mais c’est un point de vue très éclectique, commente la chorégraphe. On pourrait dire beaucoup de choses sur la signature de Mal Pelo, mais ceux qui ont suivi notre parcours disent qu’il y a un style. Notre approche a toujours été de mûrir et d’approfondir notre démarche plutôt que de changer tout le temps. Ça se reflète dans le fait que nous travaillons avec les mêmes collaborateurs depuis 15 ou 20 ans."

Communautaire dans l’âme, le couple Muñoz-Ramis décide de se poser un peu après une décennie de tournées de par le monde et de fonder une famille. En plus de mettre au monde trois enfants, ils achètent une ruine dans la campagne de la province de Gérone et la restaurent pour y fonder un centre dédié à la création, à la formation et à la documentation. En 2001, L’animal a l’esquena (l’animal chargé sur le dos) ouvre ses portes aux artistes de tous horizons de même qu’au grand public.

"Il y a eu, en Espagne, un moment où les choses commençaient à être un peu trop institutionnalisées et dirigées politiquement et nous avons ressenti la nécessité de trouver une nouvelle façon de gérer la culture, qui partirait des désirs et des besoins des créateurs, explique María Muñoz. L’animal a l’esquena n’est pas la seule expérience de ce type, mais les autres projets ont des structures et des objectifs très différents." Curieux d’en savoir plus? Rendez-vous à la causerie gratuite du 28 août avec Toni Cots, codirecteur artistique de la structure.

Du 20 au 30 août
À l’Agora de la danse
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UNE VITRINE SUR QUATRE UNIVERS

Pour nous brosser un portrait évocateur d’un paysage aussi diversifié que celui de la danse contemporaine catalane, l’Agora a invité deux créatrices bien établies et deux chorégraphes de la scène émergente et alternative. Angels Margarit, la seule à être déjà venue à Montréal, donne le coup d’envoi de l’événement. Dans Solo por placer, elle explore la notion de plaisir en passant par toutes sortes d’états. La même semaine, dans l’Atelier de l’Agora (occupé par Tangente en saison), Sofia Asencio présente Volumen II. Créée à la campagne sur une musique de Lou Reed et avec la complicité de Tomàs Aragay, l’oeuvre est une performance dérangeante au cours de laquelle la danseuse se transforme en cul-de-jatte manchot. María Muñoz est au programme de la deuxième semaine avec Bach, solo graphique et musical sur Le Clavier tempéré de Bach. "C’est très différent de ce que fait Mal Pelo d’habitude, c’est quasiment un exercice de style pour interprète", commente celle que la directrice de l’Agora compare à Louise Lecavalier. Quant à Sònia Gómez, elle partage la scène avec sa mère de 70 ans dans l’oeuvre de danse-théâtre (sous-titrée en français) Mi madre y yo. Un programme riche pour animer la saison morte en danse contemporaine. Une occasion unique de s’ouvrir une fenêtre sur la création catalane.