Daniele Finzi Pasca : Sur la scène comme au ciel
Le Suisse Daniele Finzi Pasca signe la mise en scène du dernier volet de la Trilogie du ciel conçue pour le Cirque Éloize. Avec Nebbia, il renforce l’aspect théâtral de son travail pour nous entraîner dans une de ces réalités parallèles dont il a le secret.
1993. Tandis que les Madelinots Jeannot Painchaud et Daniel Cyr fondent le Cirque Éloize au Québec, en compagnie de Claudette Morin et Julie Hamelin, Daniele Finzi Pasca fête les 10 ans du Teatro Sunil qu’il a mis sur pied en Suisse italienne avec son frère Marco et la compositrice, danseuse et chorégraphe Maria Bonzanigo. Les uns développent une poétique du cirque en misant sur la multidisciplinarité et la présence naturelle des acrobates sur scène. Les autres poussent une réflexion sur le clown tragique et le geste invisible, sur la meilleure façon "de prendre le public dans ses bras et de danser avec", dit Finzi Pasca. La meilleure façon de le toucher pour le faire décoller du réel et l’amener au coeur des choses et de lui-même.
Quand Painchaud et Hamelin assistent à une représentation d’Icaro, un solo que Finzi Pasca joue en six langues depuis 1991, c’est le coup de foudre. Après le succès des trois premières créations du Cirque Éloize, ils lui confient une première commande. La Trilogie du ciel débutera par Nomade – La nuit, le ciel est plus grand en 2002, se poursuivra avec Rain – Comme une pluie dans tes yeux en 2004, et s’achèvera avec Nebbia, créé en décembre dernier au Grand Casino de Genève.
"Jeannot et Julie avaient aussi vu Visitatio, une création que j’avais faite avec Carbone 14, et ils avaient trouvé qu’il y avait quelque chose dans le jeu qui pouvait contaminer profondément leur langage, raconte Finzi Pasca. C’est avec ça que j’ai bâti les trois volets. En ce sens, on peut dire que Nebbia est le spectacle le plus théâtral de la trilogie."
On comprend que le metteur en scène, clown de formation, préfère parler de théâtre acrobatique plutôt que de cirque, adoptant une position qui épouse à merveille la démarche du Cirque Éloize: ayant d’abord déserté les chapiteaux traditionnels au profit des théâtres pour des raisons économiques, la compagnie y a finalement trouvé le meilleur des berceaux pour développer des images porteuses de sens au-delà de la pure performance circassienne.
DES CLOWNS AU PAYS DES MERVEILLES
Nebbia, qui signifie "brouillard" en italien, ne raconte pas d’histoire linéaire, mais présente une série de tableaux dans lesquels 11 artistes de sept nationalités différentes incarnent toutes sortes de personnages. "Techniquement, ce sont plutôt des clowns, commente Finzi Pasca qui voit cette figure comme le principal dénominateur commun entre le cirque et le théâtre. On pourrait avoir toute une discussion sur ce qu’est le clown, mais dans mon cas, je le vois comme une forme de pensée qui danse sur scène. Ce n’est donc pas forcément un personnage qui a une cohérence." Et comme pour ajouter à la facture poético-surréaliste de l’oeuvre, évidemment empreinte d’humour, il met dans la bouche des acteurs-acrobates des mots étrangers à leur langue maternelle.
"J’aime beaucoup faire ça parce que le langage prend alors une autre dimension, se justifie-t-il. Il se brise, devient plus élémentaire et parfois aussi plus complexe. Quand quelqu’un ne parle pas bien ta langue, tu fais comme un pas en avant pour mieux comprendre ce qu’il cherche à te dire. Quand on brise la convention selon laquelle on se comprend, et qu’on se dit que ça va être difficile de se comprendre, je trouve que tout d’un coup, on ouvre les portes."
Ouvrir les portes pour laisser entrer l’inattendu, l’inespéré, l’idée centrale du spectacle étant que le brouillard est le manteau protecteur de nos rêves les plus fous. Car dans l’épaisseur de la brume, le réel se déforme et tout devient possible, l’imaginaire prend forme et devient la réalité. Inspiré par les atmosphères toujours vivaces de ses souvenirs d’enfance, le créateur quadragénaire porte la nostalgie en bandoulière et le rêve à la boutonnière. C’est ainsi qu’il donne vie à des spectacles qui nous transportent dans un espace où le temps suspend son vol pour laisser affleurer la part la plus sensible de l’humanité.
"Je ne crois pas que le monde imaginaire appartienne exclusivement à l’enfance, ni qu’il soit idéal, affirme-t-il. Il est aussi peuplé de monstres, de tragédies, etc. Mais, dans ce que je fais, il y a comme une affirmation qu’il existe une série de réalités parallèles dans lesquelles on continue toujours de se promener. Par exemple, on se parle au téléphone et j’ai une certaine image de toi dans ma tête. Si on se voit un jour à Montréal, tout à coup, il y aura deux Fabienne: la réelle et celle que j’avais imaginée. Et toutes les deux vont continuer d’exister. Je crois qu’il y a ainsi tout un bagage d’images qui existent parce qu’on les a imaginées avant de les vivre."
On ne s’étonnera donc pas de voir dans Nebbia de la jonglerie sans jongleur et autres étrangetés telles qu’un appareil circassien inconnu. De fait, après la Roue Cyr inaugurée dans Rain, Daniel Cyr a inventé l’Étoile, grande roue suspendue dans laquelle peuvent évoluer simultanément jusqu’à quatre artistes.
LA FORCE DU CLAN
Qui se ressemble s’assemble. Confirmant la maxime, Daniele Finzi Pasca a retrouvé au Cirque Éloize l’esprit de famille qui règne au Teatro Sunil, coproducteur de ce troisième volet de la Trilogie du ciel. Au fil des ans, une véritable complicité s’est créée au sein de l’équipe. Si bien que Painchaud et Hamelin, respectivement directeur de création et productrice créative de Nebbia, ont contribué, avec Finzi Pasca, à la mise en oeuvre de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Turin, en 2006. Devenue l’épouse de l’artiste suisse, Julie Hamelin cosigne également avec lui les textes des chansons de Nebbia, en plus de se préparer à un autre projet commun entre les murs de l’English National Opera. Côté Teatro Sunil, Maria Bonzanigo renouvelle sa collaboration à la composition musicale et à l’orchestration tandis qu’Hugo Cargiulo a rejoint l’équipe à titre de scénographe.
Dans cette logique de communauté et de continuité, seulement deux des neuf acrobates sont de nouveaux venus. "On a toujours recherché de fortes individualités, déclare Finzi Pasca. Il fallait réussir à trouver de vrais artistes, des âmes avec une capacité à s’interroger et à faire surgir des émotions simples. Parce que seul un artiste peut parvenir à maîtriser la simplicité, le rien, le vide, au-delà des coups d’éclat et des performances extraordinaires de l’acrobatie."
Du 9 septembre au 4 octobre
Au Théâtre du Nouveau Monde
MULTIETHNIQUE ET MULTIDISCIPLINAIRE
Cinq Québécois, un Suisse, un Français, un Brésilien, un Paraguayen, un Colombien et un États-Unien… Des 11 personnes sur scène, deux sont exclusivement des musiciens: en plus des percussions, du marimba et de la flûte irlandaise qu’ils maîtrisent tous deux, Andrée-Anne Gingras-Roy taquine l’accordéon et le violon tandis que Nicola Marinoni joue également d’un instrument de la famille des cithares appelé le santur. Il y a aussi dans le spectacle une flûte traversière, une flûte à bec, une clarinette, une guitare et un flicorne (instrument à vent). Car, en plus d’être des acteurs, huit des neuf acrobates se risquent à jouer d’un instrument. Dotés pour la plupart d’un solide bagage professionnel, Evelyne Allard, Jean-Philippe Cuerrier, Stéphane Gentilini, Catherine Girard, Evelyne Laforest, Gustavo Lobo, Gonzalo Munoz Ferrer, Joseph Pinzon et Felix Salas se livrent à moult acrobaties et clowneries. Ils nous donnent à découvrir le langage gestuel inventé pour l’Étoile et nous présentent des numéros d’équilibre, main à main, contorsion, sangles, tissus, trapèze, trampoline et arts martiaux. Une séduisante invitation à une échappée belle dans la vie rêvée de Daniele, qui est sans doute aussi un peu la nôtre.