Laurent Schuh : Matière première
La compagnie française Les Arts et Mouvants débarque en ville pour nous offrir AbracadraVra! Le Grand Vivant, une création à participation citoyenne basée sur le principe du "cadavre exquis". Entretien avec l’âme du projet, Laurent Schuh.
Un cadavre exquis à l’échelle de la ville, voilà la proposition artistique de la compagnie Les Arts et Mouvants. Créée en 2007, à l’occasion du 30e anniversaire du Centre Pompidou à Paris, AbracadaVra! Le Grand Vivant a déjà foulé le bitume de plusieurs villes françaises dont Lyon, Limoges et Avignon. Bibliothèque et Archives nationales du Québec et la Place des Arts présentent ces jours-ci, en première nord-américaine, l’insolite projet participatif de Laurent Schuh.
Placer l’ensemble d’une population en situation de création, c’est la vocation de ce spectacle qui prend forme en deux étapes: une cueillette de mots et une performance finale. Étalée sur une ou deux soirées, la première phase interpelle la force créatrice d’une population donnée autour d’une thématique définie. Sur un site spécialement aménagé pour l’occasion, les citoyens sont invités à pénétrer dans une petite maison qui contient un parchemin de 300 mètres enroulé sur lui-même.
"Sur un meuble, il y a un morceau de parchemin montrant le dernier mot visible de la phrase écrite par la personne précédente, explique Schuh. Ce dernier mot devient le premier de la phrase suivante. La participation du public se transforme ainsi en matière artistique". Cette façon de faire s’inspire directement du jeu collectif "cadavre exquis" inventé par les surréalistes au début du 20e siècle. Chaque participant doit ensuite prononcer son fragment de texte face à une caméra, en plan rapproché des lèvres, avant d’être invité à décorer le costume qui habillera l’acteur le soir du spectacle, soit le lendemain ou le surlendemain de cet amusant exercice.
La phrase géante qui résulte de cette moisson d’expressions individuelles est révélée au public via une performance orale réalisée par Schuh. "Avant que le parchemin ne soit lu, personne ne sait ce qu’il contient. Le texte révèle une photographie vivante liée à l’identité d’un territoire. Ce projet questionne le rapport de l’intime et du collectif et il engendre des histoires qui prennent des dimensions poétiques et politiques." Durant la lecture, le musicien québécois Jean Derome accompagne au saxophone la voix de Schuh.
L’auditoire assiste ensuite à la projection du film Bouche à bouches que la réalisatrice Elsa Devèze a conçu à l’aide des séquences précédemment enregistrées. "La succession des voix et des bouches de chaque participant donne un objet très particulier", commente Schuh. Finalement, le vidéographiste Laurent Foudrot reprend le film et le malaxe pour le présenter en même temps qu’une performance dansée, qui sera interprétée ici par la Montréalaise Alyson Wishnousky. "Ce spectacle, qui ne peut fonctionner qu’avec la masse, prouve de manière ludique que celle-ci est vivante, inattendue et porteuse de créativité", conclut Schuh.