Sònia Gómez : Histoires de famille
Scène

Sònia Gómez : Histoires de famille

Sònia Gómez, la plus inclassable des chorégraphes catalanes, investit la scène avec sa mère âgée de 70 ans. On présente Mi madre y yo comme une pièce énergique et étonnante aux confins de la danse, du théâtre et de la performance.

Du plus loin qu’elle se souvienne, Sònia Gómez a toujours voulu danser. Mais quand elle intègre la première cohorte de P.A.R.T.S., la célèbre école belge dirigée par Anne Teresa de Keersmaeker, elle a beau se donner corps et âme, elle s’avère une piètre interprète. "Ils m’ont dit: "Tu as quelque chose, mais on ne sait pas trop quoi, et la technique ne t’a pas permis de le découvrir", se souvient-elle en riant. Et comme j’étais incapable de copier les pas des autres, je n’ai jamais pu travailler pour une compagnie de danse!"

Au fil des ans et des collaborations dans le milieu du théâtre performatif, elle découvre la façon de bouger qui lui plaît, se nourrissant de musique électronique pour exprimer ses instincts et s’inventer une technique toute personnelle. En 2000, à l’âge de 27 ans, elle fonde sa compagnie et présente des performances à saveur autobiographique qui mêlent danse, théâtre et vidéo. Basée sur des mouvements disco, sa gestuelle est empreinte d’émotion et d’une physicalité débridée.

"Il y a un groupe de hardcore américain qui fait des concerts de 10 minutes avec des morceaux de 30 secondes, commente-t-elle depuis l’Estonie où elle est avec sa mère pour présenter Mi madre y yo (Ma mère et moi). Je ne suis pas vraiment comme ça, mais je ressens un besoin de me casser physiquement qui n’a rien à voir avec une chorégraphie réglée et fixe. Il y a des jours où c’est plus explosif que d’autres, dépendamment de mon état et de celui de ma mère. Si elle est fatiguée, je me donne plus."

Sa mère, Rosa Vicente, vit avec ses poules et ses poulets dans un village oublié du sud de la Catalogne. Ouvrière retraitée, elle a élevé seule ses trois filles après le décès prématuré de son mari. Femme de caractère à l’esprit libre, elle a tout de suite accepté la proposition de sa benjamine de partager la scène avec elle. À l’été 2004, elles ont travaillé chez elle, dans l’espace aménagé que l’artiste utilise régulièrement comme laboratoire de recherche.

"Je suis arrivée avec 50 % du scénario déjà écrit, raconte Gómez. Le reste s’est créé avec ma mère, qui avait 66-67 ans à l’époque. Je n’ai pas construit le spectacle en pensant à la structure ou à la dramaturgie ni à la critique ou aux diffuseurs. J’ai conçu un spectacle qu’on puisse défendre ensemble sur scène." Défendre qui elles sont, car ce sont leurs personnes et leurs histoires qu’elles exposent. Défendre leur création aussi, car une bonne moitié du spectacle se déroule en interaction avec le public. "Mon obsession est de garder le public avec nous. Je sens tout de suite quand il décroche, avoue la créatrice. Ce spectacle, c’est notre fils: il est beau, il est laid, sympathique, ennuyant, simple, complexe… On n’y a rien changé depuis la création. Et après 80 représentations, il a acquis son autonomie."

Entre humour, tendresse et gravité, entre des musiques variées et les vidéos de Txalo Toloza et Paula Vazques, mère et fille parleront de leurs doutes, de leurs rapports à la famille, aux corps et un peu des hommes, thème d’une seconde pièce créée ensemble en 2006 et qui semble prendre, elle aussi, le chemin du succès. Une expérience hors du commun.