Sylvain Émard : Zones d'influences
Scène

Sylvain Émard : Zones d’influences

Sylvain Émard revient d’un séjour en Europe avec Wave, un quintet féminin où les corps se font plus volubiles que jamais dans un mouvement perpétuel qui parle de notre capacité d’adaptation au monde environnant.

Comment l’humain réagit-il à tout ce qui l’entoure? Comment les traces du quotidien s’expriment-elles dans les corps et comment les êtres se transforment-ils sous l’effet des évènements d’ordre privé, social ou politique? C’est avec ces questions en tête que Sylvain Émard a démarré un cycle de création intitulé Climatologie des corps. Après avoir étudié la relation homme/femme dans le duo Pluie, il a observé la notion d’instabilité dans la pièce de groupe Temps de chien. Wave s’annonce aujourd’hui comme une conclusion plutôt heureuse de ses observations.

"La pièce porte ce titre pour deux raisons, explique-t-il depuis la Hollande où l’oeuvre a été présentée en première avant d’atterrir à Montréal via l’Allemagne. D’abord, parce que la vague est un mouvement perpétuel qui prend forme, qui n’est jamais le même et qui agit de différentes manières sur la matière, qui peut être apaisant mais aussi menaçant… Et en anglais, le mot fait référence aux ondes des communications qui nous submergent de façon hallucinante: c’est partout, ça nous passe à travers le corps… Ça symbolise la profusion de choses qui agissent sur nous à notre insu et nous transforment avant qu’à notre tour, on influence notre environnement."

Ce sont donc les phénomènes d’adaptation et de résilience que le chorégraphe met en évidence cette fois en s’imposant lui-même une contrainte des plus inhabituelles: travailler avec une distribution exclusivement féminine. Tout juste après la création d’une pièce avec sept hommes pour une compagnie hollandaise, il a trouvé en Karissa Barry, Sarah Murphy, Erika-Leigh Stirton, Catherine Viau et Megan Walbaum de jeunes danseuses sensibles et performantes, capables d’incarner sa gestuelle physique et ciselée, et de porter sa parole.

"Au début, je craignais un peu de ne pas arriver à m’exprimer à travers les corps d’un ensemble de femmes, mais étonnamment, elles révèlent des aspects de moi que je ne soupçonnais pas, notamment dans la façon d’utiliser la force et l’énergie, reconnaît Émard. Je ne pensais pas que j’arriverais à une pièce si énergique. C’est comme une vague qui déferle du début à la fin avec des moments d’accalmie, bien sûr. C’est beaucoup plus puissant que je ne l’imaginais." Influences obligent, les échanges avec la conseillère artistique et répétitrice Ginelle Chagnon, collaboratrice de longue date, l’ont conduit à "ouvrir" un peu sa danse, à la faire "respirer" en lui donnant un peu plus de souplesse et de rondeurs.

Les six mois passés au studio du Québec à Paris, voilà bientôt deux ans, ont également influencé la création. Dans cette période de recherche et de ressourcement, Sylvain Émard s’est nourri de culture européenne tout en jetant les bases de Wave, seul en studio. "Ce que je voyais me confrontait, car ça ne dansait pas beaucoup, raconte-t-il. Ça passait beaucoup par la prise de parole, le minimalisme et une approche un peu trash qu’ils appellent la non-danse. Ça m’a convaincu de poursuivre le développement de mon langage en mouvement et de donner encore plus de place à la chorégraphie, à la kinesthésie et à la musicalité du mouvement." La scénographie épurée de Richard Lacroix est d’ailleurs conçue pour une mise en valeur subtile des corps dansants.

Parmi l’équipe de concepteurs, on retrouve l’éclairagiste Étienne Boucher et le compositeur Michel F. Côté, que nous n’aurons, hélas, pas le loisir de voir interpréter sa musique en direct. Quant au vidéaste Effe (Francis Leclerc), il soutient le mouvement perpétuel de cette lame de fond avec des projections sur trois écrans translucides d’images concrètes traitées pour colorer l’atmosphère de chacune des scènes. Un univers en mutation perpétuelle qui, espérons-le, saura transformer les humbles spectateurs que nous sommes.