Andrée Lachapelle : Douée pour le bonheur
Andrée Lachapelle s’apprête à endosser, sous le regard bienveillant de l’un de nos plus grands metteurs en scène, André Brassard, l’angoisse et la détermination de Winnie, l’héroïne d’Oh les beaux jours, de Samuel Beckett. Un grand rôle qui s’ajoute à un parcours déjà exemplaire.
Le premier spectacle de la saison 2008-2009 de l’Espace Go conjugue le talent de la comédienne Andrée Lachapelle, le savoir-faire du metteur en scène André Brassard – dont la dernière réalisation scénique remonte à 2003 – et l’un des chefs-d’oeuvre de Samuel Beckett, Oh les beaux jours. C’est ce qu’il est convenu d’appeler une rencontre au sommet.
En fait, il s’agit plus précisément d’un rêve… devenu réalité. Essentiellement le rêve de Brassard. En effet, c’est d’abord lui qui a imaginé Andrée Lachapelle dans la peau de la mythique Winnie de Beckett. Puis la comédienne a fini par accepter le défi, et, avec elle, Ginette Noiseux, directrice artistique de l’Espace Go. "J’avais vu la pièce à quelques reprises, explique la comédienne, notamment dans la mise en scène de Roger Blin, avec Madeleine Renaud; et celle de Brigitte Haentjens, en 1990, avec Sylvie Drapeau. Mais je ne l’avais jamais lue. Quand j’ai lu la pièce, avec toutes les didascalies, je me suis demandé ce que j’étais allée faire là. Mon Dieu, serais-je capable d’apprendre tout ce texte?"
En effet, la chose n’est pas simple. Pas parce que la pièce créée en 1963 est très longue, mais bien parce qu’elle est truffée de didascalies, des indications scéniques d’une précision peu commune, comme Beckett en avait le secret; une partition de temps et de gestes presque aussi importante que le texte lui-même. Tout cela, il faut en convenir, n’est pas évident à mémoriser, surtout quand on a l’âge vénérable de 76 ans. "J’avais eu tellement de difficulté à apprendre Les Règles du savoir-vivre dans la société moderne, se souvient la comédienne à propos du monologue de Jean-Luc Lagarce que Serge Denoncourt avait dirigé à Go, en 2001. Je m’étais alors fait la promesse de ne plus m’embarquer dans une aventure semblable. Et me revoilà! Il faut croire que c’est dans ma nature de plonger et de me rendre compte après coup qu’il n’y avait pas d’eau dans la piscine."
RETROUVER BRASSARD
Mais le désir de recroiser le fer avec Brassard est si grand que la comédienne accepte de se mesurer à un autre grand rôle. "Je voulais travailler à nouveau avec André. Je trouvais ça important pour moi. Chaque fois, c’est une grande joie, un grand bonheur. Il m’a toujours obligée à faire des choses très différentes. Je pense notamment aux Paravents, de Genet, ou encore à Et mademoiselle Roberge boit un peu, de Zindel." En effet, Brassard n’a jamais été homme à fréquenter les sentiers battus. Depuis quelques années, la maladie l’a forcé à ralentir ses activités, pour ne pas dire à quitter la scène. Si c’est un bonheur pour Lachapelle de retravailler avec lui (ils ont commencé à se rencontrer en novembre dernier), c’en est un tout aussi grand pour nous, amateurs de classiques radicalement relus, de le retrouver.
Quand on demande à la comédienne, qui a commencé sa carrière en 1950, si Winnie sera son dernier grand rôle – parce qu’une rumeur en ce sens a circulé -, elle apporte quelques nuances. "Je ne veux pas dire que ce sera le dernier, parce que si jamais je change d’idée, je vais avoir l’air ridicule. Cela dit, ce genre de texte, aussi exigeant, c’est la dernière fois, ça c’est sûr. Je ne vais pas aller jusqu’à 80 ans à faire des trucs pareils!"
DÉCOUVRIR LES NUANCES
Une sonnerie stridente perce le calme d’un jour naissant. Winnie se réveille, son corps enterré jusqu’au-dessus de la taille dans un monticule de sable. Peu importe, Winnie ne se plaint jamais. Pour conjurer le vide d’une vie immobile, elle se lave les dents, fouille dans son sac, en sort des objets familiers, ouvre une ombrelle pour se protéger du soleil, fredonne un air ancien et évoque des souvenirs du passé. Parfois, son mari Willie (incarné par Roger La Rue) laisse aller quelques grognements.
La pièce de Beckett aborde nos peurs les plus viscérales: la mort, la vieillesse, les habitudes, la monotonie du quotidien, la transformation du corps, l’effritement du désir, des capacités physiques et intellectuelles…
Étrangement, malgré la gravité de l’arrière-plan, l’ensemble reste assez lumineux. Il y a là comme un espoir des derniers instants, une espérance qui subsiste, malgré tout. "Finalement, explique la comédienne, à force d’entrer dans le texte, que je pensais au début beaucoup plus dramatique, beaucoup plus sombre – l’histoire d’une femme qui s’enfonce dans la terre! -, à force de le lire, de l’apprendre, j’ai découvert tout le personnage, toutes les nuances, son humour, son sens incroyable de la dérision. Elle se moque d’elle-même, et aussi de Willie, ce qui me plaît beaucoup parce que ça apporte des couleurs très différentes. Il y a aussi ses doutes, ses attentes, ses insécurités, notamment par rapport à Willie. Son raisonnement sur la vie, sur les choses qui durent et sur les êtres qui ne durent pas, tout cela est particulièrement philosophique. Chaque phrase, chaque mot veut dire quelque chose!"
OFFRIR DE LA RÉSISTANCE
Ainsi, le texte acquiert toujours plus de sens pour la comédienne, comme pour le metteur en scène, victime d’un AVC il y a huit ans. "À cause de ce qui lui est arrivé, ce texte-là touche tout particulièrement André, explique Lachapelle. Il sent tout ce que Winnie sent. Ne plus pouvoir marcher comme il le voudrait, être dépendant des autres… tout ça le met en colère et il veut que ça passe dans le spectacle, dans la manière dont je dis le texte, c’est-à-dire avec une dérision face à Dieu."
Selon Brassard, Oh les beaux jours raconte l’histoire d’une résistante qui dit à son Créateur: "Non! Tu m’auras pas, mon tabarnac!" Andrée Lachapelle, qui vit avec Winnie "jour et nuit depuis janvier", partage, en d’autres termes, cette vision. "Winnie sait bien que rendue où elle en est rendue… ça achève. Mais, avant, il y a tout ce qui se passe dans sa tête, tout ce qui a eu lieu avant, autrefois, et maintenant. Elle est perdue, elle perd les mots, elle crie, elle se fâche… mais, toujours, elle se bat pour continuer à penser. C’est une battante, jusqu’à la toute fin! Pour moi, dans la vie, il y a deux sortes de personnes: celles qui sont douées pour le bonheur et celles qui le sont moins. Winnie, elle, est définitivement douée pour le bonheur. Imaginez, ses dernières phrases sont: "Oh le beau jour encore que ça aura été. Encore un. Après tout. Jusqu’ici." Et puis ensuite, prise dans une situation aussi terrible, elle trouve le courage de chanter!"
Consultez la page de l’Espace Go au www.voir.ca/espacego
UNE SAISON À GO
Selon Ginette Noiseux, directrice artistique et générale de l’Espace Go, les artistes de la saison 2008-2009 semblent s’être concertés pour mettre en scène des "résistants" et des "résistantes", des êtres qui, à la manière de Winnie, mordent dans la vie!
Du 20 janvier au 14 février, Denis Marleau dirige sa complice Christiane Pasquier et la jeune comédienne belge Muriel Legrand dans Le Complexe de Thénardier, une pièce de l’auteur d’origine béninoise José Pliya. Dehors, c’est la guerre. Une femme recueille Vido, qui fuit le génocide. Pour se rendre utile, Vido devient fille de maison, femme de ménage, bonne à tout faire. Un froid matin d’hiver, Vido choisit de s’en aller. Contre toute logique, contre tout bon sens. La femme, atteinte du "complexe de Thénardier", décide de l’en empêcher. Coûte que coûte. On dit que dans cette variation contemporaine du conflit maître-esclave, Pliya sculpte ses personnages dans une langue dense, poétique, brutale et précieuse à la fois. Cette coproduction internationale sera créée le 26 septembre prochain à Limoges et tournera en France et en Belgique avant sa présentation à Montréal. Il s’agit de la troisième collaboration entre l’Espace Go et la compagnie Ubu, après Ce qui meurt en dernier et La Fin de Casanova.
Du 31 mars au 25 avril, Alice Ronfard dirige Sophie Cadieux, Enrica Boucher, Mireille Deyglun, Diane Lavallée, Hubert Proulx, André Robitaille, Isabelle Roy, Mani Soleymanlou et Erwin Weche dans Les Pieds des anges, une nouvelle pièce d’Evelyne de la Chenelière dont le sous-titre est: L’Inquiétude existentielle à travers la représentation des anges et l’apparition de leurs pieds dans la peinture italienne de la Renaissance. Au coeur de cette histoire de rêves individuels et collectifs, il y a Marie (Cadieux), une jeune femme qui rédige une thèse de doctorat sur la Renaissance et qui, pour reprendre pied dans la réalité, choisit de s’inscrire à des cours de danse sociale… Comme c’était le cas dans Des fraises en janvier ou Désordre public, inventivité, humour, émoi et réflexions inattendues sur la condition humaine risquent bien d’être de la partie.
Aussi, du 26 au 29 novembre, l’Espace Go accueille, en première nord-américaine, Cet enfant, une pièce écrite et mise en scène par le prolifique homme de théâtre français Joël Pommerat à l’issue de rencontres avec des femmes qui lui ont fait le récit de leurs vies dans les cités. Mentionnons que Pommerat est le nouveau protégé de Peter Brook aux Bouffes du Nord. Une autre de ses pièces sera présentée à Montréal au même moment: Le Petit Chaperon rouge ouvrira la 10e édition du Festival Les Coups de Théâtre, les 17 et 18 novembre, à l’Usine C. www.espacego.com.