Elvire Jouvet 40 : Classes de maître
Scène

Elvire Jouvet 40 : Classes de maître

Lorraine Côté dirige Marianne Marceau, finissante du Conservatoire en mai dernier, dans sa première production professionnelle : Elvire Jouvet 40, de Brigitte Jaques, présentée par le Théâtre Niveau Parking.

Écrite à partir de véritables leçons données en 1940 au Conservatoire de Paris par le grand comédien Louis Jouvet (1887-1951), Elvire Jouvet 40 retrace, en sept tableaux, le cheminement de Claudia, qu’incarne Marianne Marceau. Élève douée, Claudia est guidée par Jouvet dans une scène du Dom Juan de Molière: elle y joue Elvire qui, ayant pardonné à Dom Juan, le conjure de se repentir afin de sauver son âme. On assiste aux leçons du maître, à sa réflexion, à sa méditation, même, sur le théâtre, sur l’art, au moment où la France est bouleversée par la guerre.

"Jouvet parle beaucoup de l’implication de l’acteur, de l’importance du sentiment vrai, explique Lorraine Côté. Le théâtre français, à cette époque, était en pleine mutation. On commençait à laisser de côté l’acteur et son ego pour se mettre au service du personnage et de la pièce. Jouvet était un bourreau de travail, qui s’investissait beaucoup dans ses personnages; il demande à Claudia de faire de même. C’est vraiment une méditation sur l’art du comédien, qui peut aussi s’appliquer à tellement de choses. Dans n’importe quel apprentissage, tu dois laisser de côté l’orgueil, tu dois être patient, accepter de faire des erreurs, tu dois travailler avec passion. C’est un hommage à l’amour de ce qu’on fait, à l’effort: des grandes valeurs qu’on oublie parfois à notre époque, parce qu’on veut tout réussir rapidement. C’est presque une leçon de vie, en fait."

Au cours des leçons se font face deux personnages entiers: Jouvet, autoritaire, sévère, exigeant, et Claudia. "Elle a beaucoup de caractère, elle est très orgueilleuse, avance la jeune comédienne. Elle sait comment bien faire les choses et raisonne beaucoup. Jouvet veut mener ses étudiants à l’émotion vraie, sentie. Elle résiste un peu, mais c’est quelqu’un de très persévérant, de très sensible. Elle décide finalement de lâcher prise et, à un moment, touche la profondeur du sentiment. Elle découvre au fil de la pièce comment dépasser ses limites; c’est ça qui est beau."

Pendant qu’au-dehors, la guerre et l’Occupation troublent Paris, Jouvet (Michel Nadeau) et ses élèves (Hugues Frenette, Israël Gamache) trouvent refuge dans les répétitions. Chacun y vient portant ses difficultés, qu’on laisse pourtant à la porte pour se consacrer au théâtre. "Pendant les leçons, jamais on ne parle de la guerre, précise Lorraine Côté. Jouvet était un homme extrêmement discret, qui ne parlait jamais de ses problèmes personnels, même si, à cette époque-là, il en avait beaucoup, parce qu’il ne voulait pas collaborer avec les Allemands. Mais il ne parle jamais du contexte politique. Il en est question parce que moi, entre les leçons, j’ai placé des éléments, dont une radio, qui nous donnent des informations. On a une idée de ce qui se passe dehors, alors qu’à l’intérieur, on est comme dans un cocon, comme dans le creuset de la beauté." "C’est un lieu où vibre la passion, ajoute Marianne Marceau, où on oublie l’extérieur. Un lieu où on peut enfin vivre ce qu’on aime: la paix, en fait. Comme si l’art, en quelque sorte, était leur salut."