Les 7 doigts de la main : La vie après la mort
Scène

Les 7 doigts de la main : La vie après la mort

Les 7 doigts de la main font un retour en force avec La Vie, un spectacle pour adultes qui a déjà exalté les publics de New York et de la Nouvelle-Zélande. On en parle avec deux des membres fondateurs, Isabelle Chassé et Sébastien Soldevila.

Il était une fois sept passionnés de cirque plus que talentueux qui s’étaient illustrés dans de prestigieuses compagnies et avaient raflé, aux quatre coins de la planète, de nombreuses récompenses. Désireux de devenir un peu plus maîtres de leurs vies, ils se libérèrent de la houlette des metteurs en scène et des grandes compagnies pour fonder un collectif, répondre à la volonté de créer ensemble un cirque à leur image, en résonance avec leurs vies et avec l’air du temps.

Dans Loft, leur toute première création, Shana Carrol, Isabelle Chassé, Patrick Léonard, Faon Shane, Gypsy Snider, Sébastien Soldevila et Samuel Tétreault mêlaient cirque, danse et théâtre en s’interpellant sur scène par leurs propres prénoms. "On aime parler de cirque humain pour définir Les 7 doigts de la main, commente Sébastien Soldevila, ex-champion de sports acrobatiques recruté par le Cirque du Soleil en 1998. Le cirque a toujours une dimension surnaturelle, avec des gens qui font des choses incompréhensibles et des personnages fantasmagoriques qui sortent d’un rêve. Nos personnages à nous sont plus ancrés dans la réalité, ils ont des émotions et des histoires."

Dans La Vie, le spectacle que Les 7 doigts s’apprêtent à dévoiler aux Montréalais, on trouve, aux côtés de l’extravagant maître de cérémonie que Soldevila incarne, un ex-PDG de compagnie aérienne, une secrétaire, une hôtesse de l’air, une folle et d’autres personnages du quotidien. Tous ont été définis et choisis au fil des rencontres qui ont mené à l’élaboration collective du scénario. À sept, le processus de création s’avère plus long mais également plus riche. Il aboutit à des spectacles éclectiques dont chaque élément a été défendu face au groupe, avant d’être intégré puis peaufiné.

"Le fait qu’on soit tous metteurs en scène, chorégraphes et directeurs artistiques nous donne la liberté de faire évoluer nos spectacles au quotidien, déclare la contorsionniste Isabelle Chassé. Il y a deux types d’évolution. D’abord, quand un spectacle est tout frais, on se rend rapidement compte de ce qui fonctionne ou pas et il y a des ajustements immédiats. Ensuite, le spectacle prend de la maturité et il évolue plus lentement, comme nous-mêmes évoluons dans la vie. L’autre type de changement, c’est l’adaptation des gags en fonction de la culture des pays où l’on joue."

Après Loft, il y a eu Traces, mis en scène et chorégraphié par Carrol et Snider, et interprété par de tout jeunes artistes. Deux succès retentissants qui ont même été simultanément à l’affiche d’un festival en Nouvelle-Zélande. Avec La Vie, tous s’accordent à dire que la compagnie atteint un stade de maturité. "Avec notre premier spectacle, on a vraiment mis nos tripes sur la table, mais on n’avait aucune idée de la façon dont le public réagirait, se souvient Chassé. La Vie reflète bien la confiance qu’on a gagnée au fil des créations, en ce sens qu’on prend plus de risques que jamais, on va vers des terrains inconnus, il y a beaucoup plus de texte et un humour beaucoup plus adulte, plus mature, je dirais même noir, qu’on n’aurait pas employé il y a six ans."

BIENVENUE AU PURGATOIRE

Résultat d’une commande de coproducteurs états-uniens, le spectacle a été créé pour être offert aux New-Yorkais, à 23 h, sous le pont de Brooklyn, dans un Spiegeltent, grand chapiteau de bois où, dès le 19e siècle, se donnaient des soirées-cabaret. Sensualité parfois torride, humour grinçant et ambiance cabaret colorent donc clairement ce nouveau spectacle qui, pour la première fois, raconte une histoire avec un début et une fin. "L’action se passe dans un purgatoire dont je suis une sorte de saint Pierre vicieux, explique Soldevila. Je suis le maître de cérémonie qui a accès à toutes les fiches des gens dont on raconte la vie et la mort et qui vont être jugés." Le public, d’emblée considéré comme la population du purgatoire, est régulièrement pris à partie.

"L’une de mes scènes préférées est celle où je fais passer un test psychologique, le test de Rorschach, à trois ou quatre spectateurs", poursuit l’acrobate, clown et jongleur, qui oeuvre parfois en duo avec Patrick Léonard, ou encore Émilie Bonnavaud, son ex-partenaire de sport acrobatique qui a rejoint la troupe en 2005. "C’est à ce moment-là que je suis le plus anxieux, parce que c’est de l’improvisation totale et je dois trouver des réponses du tac au tac."

SEXE, MUSIQUE, ACROBATIES ET VIDEOS

Pièce de théâtre à part entière, La Vie n’en demeure pas moins un spectacle de cirque. Les numéros servent tous une action et chaque mouvement acrobatique a un mobile intellectuel au-delà de l’impulsion physique. Contorsion, chaînes et tissus aériens, main-à-main, diabolo, équilibre et autres acrobaties sont offerts par les divers personnages accompagnés par la musique de DJ Pocket, membre du collectif depuis 2002.

"Les arts du cirque sont quelque chose d’encore plus vivant que la danse: tu peux laisser échapper ta balle et devoir recommencer, il y a souvent un momentum qui demande que le spectacle reste très organique, affirme Chassé. C’est plus difficile avec une trame sonore figée. Un D.J. nous permet de voyager léger en gardant la même souplesse qu’avec un band, tout en ayant un son urbain très actuel." L’ajout de la vidéo à la création originale de l’été 2007 contribuera certainement à donner une dimension encore plus contemporaine à cette oeuvre qui traite de sujets universels et indémodables.

"Le spectacle porte à réfléchir, il rappelle qu’il faut vivre l’instant présent et mordre dans la vie parce que la mort est imminente, assure la jeune femme. Être proche de ses sentiments, de ses désirs et de sa sexualité, ça fait partie de la vie. C’est en ce sens que le sexe est utilisé dans le spectacle: pour éveiller les sens et donner le goût de vivre." Une proposition qui devrait inciter plus d’un parent à s’offrir les services d’une gardienne pour jouir entre adultes des plaisirs du cirque.

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LA VIE AVEC HARPER

Un an après avoir créé la compagnie, Les 7 doigts de la main se produisaient à Montréal, en Hollande, au Japon, en Suisse, en Suède, en Belgique, au Mexique et aux États-Unis, s’inscrivant rapidement au palmarès des meilleurs ambassadeurs de la culture québécoise. Deux ans plus tard, première compagnie canadienne invitée au Festival Janvier dans les étoiles en France, ils battaient le record de vente de billets au Festival de Wellington, en Nouvelle-Zélande, et la seconde distribution de Loft tenait l’affiche à Berlin pendant huit mois. Sujet central de plusieurs documentaires, Les 7 doigts enchaînent les succès, équilibrant leur budget grâce à des créations pour des événements spéciaux dans le secteur privé, qui leur permettent aussi de stimuler leur créativité entre deux grosses productions. Les coupures budgétaires annoncées par le gouvernement Harper dans les programmes PromArt et Routes commerciales les privent de 30 % de leur budget annuel.

"Ce qui est le plus difficile à trouver, c’est l’argent à l’exportation, déplore Sébastien Soldevila. Quand on voyage, ce qui nous coûte le plus cher, c’est le prix du cargo et des billets d’avion. Pour une semaine en Europe, cela représente plus de 50 % du prix qu’un producteur doit payer pour nous avoir. L’aide à l’exportation est donc la plus importante pour nous." "Nous ne sommes pas une très grosse compagnie, mais il y a tout de même plus petit que nous, ajoute Isabelle Chassé. Quand je vois à quel point ces coupures nous affectent, je n’ose même pas imaginer ce que ça représente pour les plus petits. J’en ai la voix qui tremble à en parler." On ne s’étonnera donc pas de trouver dans le spectacle des répliques bien senties à l’endroit de notre premier ministre et personne ne prendra ombrage d’une prise de parole plus directe de la part des artistes pour sensibiliser le public à une politique qui menace gravement leur avenir. (F.C.)