Christian Lapointe : À voix haute
À l’invitation de Jack Udashkin, nouveau directeur artistique du Théâtre La Chapelle, Christian Lapointe a accepté d’ouvrir la saison avec Vu d’ici, une adaptation du roman-brûlot de Mathieu Arsenault.
Il y a bientôt 10 ans que Christian Lapointe s’est jeté dans l’aventure du théâtre. Déjà, plusieurs remarquables réalisations jalonnent le parcours du directeur artistique du Théâtre Péril. On parle beaucoup de ce fameux 4.48 Psychose, de Sarah Kane, dont il signa la mise en scène entre les murs de l’École nationale, un spectacle que bien peu de gens ont eu la chance de voir. Mais parmi les oeuvres qu’il offrit au grand jour, C.H.S. est probablement la plus maîtrisée, la plus singulière, la plus percutante; sa plus belle carte de visite.
"Après avoir vu C.H.S., se souvient Lapointe, Jack m’a donné carte blanche pour ouvrir la saison. Pour moi qui ai toujours beaucoup d’affaires dans le collimateur, disons que c’était un beau problème." Mais peu de temps après que le nouveau directeur artistique du Théâtre La Chapelle lui eut donné cette preuve de confiance, un ami a eu la bonne idée de lui placer entre les mains le deuxième roman de Mathieu Arsenault: Vu d’ici. "Il y a une oralité si forte chez Arsenault, lance Lapointe, une puissance de la parole qu’on ne retrouve même pas chez la plupart des auteurs de théâtre. C’est le genre de livre que tu ne peux pas t’empêcher de lire à voix haute. C’est fait pour être dit, pour être entendu!"
Dès lors, le metteur en scène n’a qu’une envie: offrir une scène à la parole brûlante d’actualité de ce jeune auteur né à Rimouski en 1976. "Il fallait dire ça maintenant, lance-t-il avec conviction. Sans dire que ça ne résistera pas au temps, je trouve que c’est vraiment un truc de maintenant. D’ailleurs, je n’ai jamais travaillé si peu de temps sur un texte. D’ordinaire, je peux lire un texte pendant deux, trois, quatre ans… mais là, il fallait que ça se fasse vite." C’est ainsi que dans l’urgence s’est accompli un important travail d’adaptation à six mains: celles de l’auteur, celles du metteur en scène et celles de l’acteur qui devra endosser ce vertigineux monologue, Jocelyn Pelletier.
UN ACTE DE RESISTANCE
Un violent pamphlet contre la télévision, voilà en quels termes certains parleront de Vu d’ici. En effet, Arsenault, aussi slameur à ses heures, n’y va pas avec le dos de la cuillère. "…pourtant ma mère m’avait bien dit de m’éloigner de la télé parce que ça allait me brûler les yeux mais maintenant que je suis vieux j’ai les yeux qui brûlent d’eux-mêmes du feu sacré de la télé…" Par le truchement du téléviseur, ce sont tous les vices de notre société qui sont conviés: guerre, surconsommation, hyper-capitalisme, racisme, étroitesse d’esprit, vedettariat instantané, exploitation de la misère…
Première victime du fléau qu’il décrit, le personnage de Vu d’ici, qui porte d’ailleurs le même prénom que son auteur, lance un terrifiant cri d’alerte, un vibrant appel à l’insurrection. Heureusement, sa lucidité est telle que le monologue n’est jamais une attaque mais toujours une prise à partie. "Ce texte dit tout haut ce que tout le monde pense sans oser le dire, affirme Lapointe. Ce personnage ne crie pas contre nous. Il est comme nous et il crie pour nous!"
Pour emprunter les sentiers que Lapointe a choisi d’emprunter, des voies étrangères au divertissement, au ravissement béat et au réconfort, il y a bien entendu un prix à payer. "Dans l’art, en ce moment, c’est le festival du désengagement et du consensus, lance le jeune créateur. Les artistes se mobilisent seulement quand on leur coupe des millions de dollars! Moi, j’essaie d’être toujours, sur scène, dans un acte de résistance. Le théâtre est le dernier espace de parole libre et tout est fait pour nous l’enlever. On m’a beaucoup taxé d’hermétisme, d’inaccessibilité. Ce sont des étiquettes que je refuse! Ce que j’ai à dire est peut-être complexe, la matière est dense, mais je ne cherche pas à ne pas être compris, bien au contraire!"
Consultez la page du Théâtre La Chapelle au www.voir.ca/lachapelle.
C.V.
Formé au Conservatoire d’art dramatique de Québec et à l’École nationale de théâtre, Christian Lapointe est un artiste curieux, ouvert sur le monde, iconoclaste et franchement polémiste. Directeur artistique du Théâtre Péril depuis 2000, il a mis en scène W.B. Yeats (Le Chien de Culann et Le Seuil du palais du roi), Claude Gauvreau (Faisceau d’épingles de verre), Villiers de L’Isle-Adam (Axël), Mark Ravenhill (Shopping and F***ing), Daniel Danis (La Nuit des calendrystes), ses propres textes (Hoi Sinh/Dichotomie, C.H.S., qui a aussi été mis en espace au Festival d’Avignon, en 2006, par Richard Sammut, et Anky ou La Fuite/Opéra du désordre, qu’on verra en février prochain à la Salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui) et, bientôt, Fausto Paravidino (Nature morte dans un fossé, une coproduction du Théâtre Blanc et du Théâtre l’Escaouette). En 2007, à Berlin, Lapointe a pris part, grâce à l’Institut international du théâtre (UNESCO), à un atelier sur les nouvelles dramaturgies. La même année, la metteure en scène Brigitte Haentjens lui a remis, à titre de protégé, une partie de la bourse qu’elle avait reçue en même temps que le prestigieux prix Siminovitch.