Marie Tifo : Regard sur le Nouveau Monde
Scène

Marie Tifo : Regard sur le Nouveau Monde

Marie Tifo, pour créer et interpréter Marie de l’Incarnation ou la déraison d’amour, s’est plongée dans la correspondance d’une femme hors du commun, dont elle parle avec chaleur.

Le projet menant à ce spectacle mijote depuis longtemps. Début des années 80, Jean-Daniel Lafond, qui signe le texte en collaboration avec Marie Tifo, en touche un mot à l’interprète: créer une oeuvre à partir de la correspondance de Marie Guyart, dite Marie de l’Incarnation (1599-1672). À partir de 2003, le tout démarre véritablement. "On a passé trois mois à lire 800 lettres de Marie de l’Incarnation et à en faire un montage, explique Marie Tifo. Je la découvrais et j’étais de plus en plus intéressée; on se disait constamment: "Quel personnage invraisemblable…"" Résultat: un film, Folle de Dieu, et une pièce, Marie de l’Incarnation ou la déraison d’amour, mise en scène par Lorraine Pintal et jouée ces jours-ci.

Quittant la France en 1639, Marie de l’Incarnation, toute sa vie, écrit à son fils resté au pays. Lisant ses lettres, la comédienne découvre une femme exceptionnelle. "C’était une femme vraiment moderne, ayant un grand désir de liberté. Elle avait eu une vision du Canada où elle devait aller évangéliser les petites filles, et à partir de là, c’est comme un rouleau compresseur… Quand elle avait une idée, il fallait qu’elle aille jusqu’au bout. C’était une femme d’action: elle traverse l’océan – c’était beaucoup plus dangereux de traverser la mer à cette époque que de s’en aller sur la lune en ce moment -, et arrive dans une contrée inconnue, avec ce désir d’apporter la parole divine. Elle a fondé et dirigé le couvent des Ursulines, elle a écrit des dictionnaires en algonquin, en iroquois, des catéchismes, des chants religieux, elle enseignait… En même temps, c’est quelqu’un qui a une relation amoureuse exceptionnelle avec Dieu : cet amour total est une recherche, en fait, de perfection. Cette quête spirituelle, c’est ce qui la fait si singulière. Et moi, ça me remplit, humainement parlant. En général, j’ai beaucoup d’angoisse face à une production théâtrale, et là, je me sens en paix. Cet amour tellement immense, pour moi, c’est admirable."

Retraçant le parcours de Marie de l’Incarnation, le spectacle présente en même temps un témoignage unique. "C’est aussi une chronique de l’histoire de la construction de notre pays, et ça c’est fantastique. C’est intéressant de savoir tout ce qui s’est passé à Québec, à cette période-là. Et quand elle essaye d’expliquer à son fils sa relation avec Dieu, quand elle décrit les transes mystiques, c’est d’une telle beauté… c’est incroyable. C’est véritablement la première femme écrivaine au pays. On ne sait pas quel trésor c’était, cette femme-là!"

Mais comment jouer une correspondance? "On essaie que ça ne devienne pas trop littéraire, que le récit soit vécu. Alors ce n’est pas seulement raconté, c’est aussi joué. On a misé sur la scénographie, très simple, très pure; on a beaucoup travaillé avec la musique, les éclairages, le mouvement, entre autres pour exprimer physiquement les transes mystiques. On n’a pas travaillé dans le quotidien: on est dans le rituel. C’est beau; je suis vraiment contente."