Martin Genest : Partir pour la gloire
Scène

Martin Genest : Partir pour la gloire

Martin Genest a conçu la mise en scène de La Gloire des filles à Magloire de manière à nous faire voyager dans le temps. Authenticité du documentaire, couleurs de la poésie.

Les filles à Magloire, ce sont trois soeurs qui habitent au fond d’un rang dans le Québec des années 1940. Ostracisées par le village, elles survivent en vendant leurs faveurs, non sans également rêver de se venger des humiliations qu’on leur a fait subir. "André Ricard a créé trois beaux rôles de femmes, qui ont de la verve, du caractère et sont capables de se défendre", commence Martin Genest. Ce qu’elles font du reste dans le langage des campagnes de l’époque, incontournable spécificité de la pièce. "Ce joual qu’on n’entend plus aujourd’hui, mais qui a existé est aussi très poétique. Étrangement, le texte s’avère difficile à lire parce qu’André a écrit en phonétique, mais une fois dans la bouche des acteurs, il apparaît d’une grande limpidité." Au prix, bien sûr, d’un effort soutenu. "Cette langue du terroir, on est portés à en faire une caricature, ajoute-t-il. Là, j’ai essayé de trouver ce niveau d’interprétation où on ne sent pas que le comédien est pris avec des mots qui ne lui appartiennent pas. On a travaillé beaucoup à ce que ce soit fin, subtil, ce qui a amené un jeu plus économe, proche même du documentaire."

En fait, voilà qui résume partiellement sa proposition scénique. "Je sais qu’André s’est appuyé sur des faits divers pour écrire cette pièce et quand je l’ai lue, j’ai eu l’impression de plonger dans un documentaire comme ceux de Perrault." Ainsi a-t-il privilégié "le regard de quelqu’un d’aujourd’hui sur son histoire, sur le passé", au gré d’une esthétique sépia donnant l’impression d’être devant un vieux film ou une photo du temps. Plus, André Ricard a même accepté d’écrire un prologue et un épilogue pour servir cette perspective. Quant à ce qui nous attend entre ces deux interventions? "Il y a de l’humour parce que les soeurs sont vraiment très cinglantes et on est touché par cette belle histoire d’amour, observe-t-il. Aussi, certains moments se révèlent plus durs, comme le combat entre Canadiens français et Canadiens anglais, et ça va jusqu’au drame, alors qu’on sent toute l’amertume de ces femmes envers le village."

Cela dit, sa recherche d’authenticité n’a en rien éclipsé l’aspect métaphorique de l’oeuvre. "Il y a une petite fille qui vit plus dans le fantastique; elle a 17 ans, mais c’est comme si elle en avait 8. Elle aurait envie de tout brûler parce qu’elle voit bien que malgré le fait que ses soeurs soient heureuses, elles vivent sous l’emprise des Anglais. Aussi, comme elle est folle des mouches, elle traduit cette société, cette famille dans son univers d’insectes; elle les martyrise, les enferme dans des pots et y met le feu. Cette partie, je l’ai transposée en travaillant avec des animations pour que le spectateur puisse entrer dans sa tête." De même, il a choisi de resituer l’action à l’orée du bois plutôt qu’à l’arrière de la maison. "J’avais envie d’un lieu plus poétique. Les arbres sont faits de bois coupé pour montrer l’influence des Anglais. Mais ça peut aussi être une forêt d’allumettes, fragile, prête à brûler." Bref, entre figures historiques et de style, un spectacle qui a pour mission de nous emporter ailleurs.