Seuls : Voyage intérieur
Scène

Seuls : Voyage intérieur

Avec Seuls, Wajdi Mouawad repousse les limites de son art dans une fascinante et courageuse introspection.

Le soir de la première de Seuls, dans l’enceinte du Théâtre d’Aujourd’hui, qui célèbre cette année 40 ans d’existence, il y avait de l’électricité dans l’air. C’est le moins que l’on puisse dire. Un silence chargé d’attentes, de recueillement, planait sur la salle. Il faut dire que le premier solo de Wajdi Mouawad destiné aux adultes, créé à Chambéry en mars dernier, est arrivé chez nous précédé d’une sacrée rumeur.

Sur scène pendant 120 minutes consécutives, Mouawad joue pleinement le jeu qu’il s’est imposé, s’engage sans retenue dans les conventions d’un genre qui appelle, cette fois plus que jamais, l’introspection, la remise en cause, la quête identitaire. Au coeur de ce spectacle parcouru de subtiles et émouvantes projections, multipliant les petites ingéniosités scénographiques, il y a Harwan, un étudiant en sociologie de l’imaginaire, un personnage qui ressemble à s’y méprendre à celui qui l’a imaginé et qui le campe.

Immigrant québécois d’origine libanaise, le trentenaire est en conflit avec son père – qui lui reproche notamment de ne pas avoir vécu la guerre. Il est dans le deuil d’une histoire d’amour. Il achève laborieusement une thèse de 1500 pages sur le cadre comme espace identitaire dans les solos de Robert Lepage. Il se demande si quelqu’un l’attend quelque part, si vivre dans l’enchantement toute sa vie est possible, et aussi à quelle culture, à quel pays et à quelle langue il peut bien appartenir.

L’exil ne serait-il qu’un retard à rattraper? Voilà la question qui sous-tend le spectacle. Une question à laquelle Harwan devra, coûte que coûte, trouver réponse. Quand son père tombe dans le coma à la suite d’un AVC, on se dit que c’est ce qui va forcer le héros à faire face à ses démons. Mais c’était compter sans l’intelligence du dramaturge, qui, à ce moment-là, enferme son personnage en lui-même, le plonge dans son propre coma, un coma symbolique, hautement théâtral. Brillante idée.

Dans une chambre d’hôtel, à Saint-Pétersbourg, où Harwan se trouvait pour rencontrer Robert Lepage, tout bascule. Le personnage se lance alors, presque malgré lui, dans une transe cathartique, un exorcisme tragique, une régression qui inspire de la fascination ou alors, diront d’autres, de la répulsion. Les images sont fortes, primitives, viscérales, animales. Au bout de cette nuit, Harwan ne sera plus jamais le même. Parions que le voyage aura été tout aussi déterminant pour celui qui l’incarne.