Christophe Garcia : Rites modernes
Scène

Christophe Garcia : Rites modernes

Avec Erritu, Christophe Garcia s’attaque à un mastodonte de l’histoire du ballet en réactualisant Le Sacre du printemps d’Igor Stravinski. Quand le passé sert à révéler le présent.

Erritu signifie "rituel" en basque. Un nom significatif pour une pièce qui pourrait se passer de présentation. Mais ne nous privons pas de ce plaisir. Présenté pour la première fois en 1913, Le Sacre du printemps est le scandale le plus mémorable des annales de la danse, alors que le chahut du public force l’interruption de la première. Igor Stravinski y révolutionnait la façon d’aborder le rythme tout en mettant en scène la Russie païenne. Un mélange explosif qui fit passer son compositeur à l’histoire.

Ce scandale fut loin de porter ombrage à l’oeuvre, chorégraphiée par les plus grands, dont Maurice Béjart, pour qui Christophe Garcia a d’ailleurs déjà dansé le Sacre. Intimidant de revisiter ce classique avec autant de fantômes imposants qui tournent autour? "C’est un très gros morceau, en effet. J’ai essayé de me détacher de tout cela en abordant la pièce avec mon bagage, mon humilité… En essayant de désacraliser le tout, justement!" dit celui qui est à la tête de la compagnie marseillaise La [parenthèse], à laquelle s’est greffée une antenne montréalaise en 2005.

Il faut dire que l’angle sous lequel Garcia aborde la pièce y jette un éclairage nouveau. C’est en se questionnant sur les rituels dans notre société moderne qu’il a eu l’idée de s’approprier la célèbre composition. "Avant, les rituels venaient rythmer la vie. Aujourd’hui, les rites existent toujours, mais ils sont souvent exécutés de façon inconsciente, comme si les médias et les modes avaient pris le relais, comme pour certaines fêtes – Noël, par exemple – qui sont devenues très commerciales, constate-t-il. J’ai donc voulu poser un regard sur cette réalité."

BALLET-REALITE

La réflexion de Garcia va encore plus loin et elle s’intéresse de près au phénomène de la télé-réalité, véritable autel sur lequel on "sacrifie" les participants, processus qui n’est pas sans rappeler ce Sacre du printemps où les sages choisissent une jeune fille qui dansera jusqu’à la mort pour satisfaire le dieu du printemps. "Avec la télé-réalité, on demande au public de choisir, d’éliminer. C’est vraiment des formes de sacrifices comme ça se faisait dans les temps anciens. Mais cette fois, c’est pour assouvir non pas les dieux, mais le public", précise-t-il.

Ainsi, après la première partie d’Erritu, appelée L’Heure du bain – où le chorégraphe a voulu exploiter le rituel de purification en montrant trois danseuses dans l’intimité de l’acte préparatoire -, ne vous étonnez pas si on vous demande, sans expliquer pourquoi, d’en choisir une. "On voit les trois jeunes filles qui dansent de manière très solitaire et très intime. Ça permet au public de faire leur connaissance, mais dans une forme de voyeurisme, comme ça se passe dans la télé-réalité", explique le chorégraphe.

Composée par le pianiste Laurier Rajotte, qui jouera cette première partie live sur scène, et inspirée de l’univers de la plasticienne Julie Ouellet, L’Heure du bain se veut très différente musicalement du Sacre du printemps. Un doublé qui ne devrait laisser personne indifférent.