Michel Vaïs : Course à obstacles
Après plus d’une décennie d’attente et d’anticipation, le Dictionnaire des artistes du théâtre québécois est enfin sur les tablettes des libraires. Michel Vaïs, rédacteur en chef des Cahiers de théâtre Jeu, nous raconte cet accouchement difficile.
En choisissant de répertorier un certain nombre d’artistes marquants et de tracer les grandes lignes de leur carrière, les concepteurs du Dictionnaire des artistes du théâtre québécois, l’équipe des Cahiers de théâtre Jeu, touchent plusieurs éléments constitutifs du théâtre québécois, sans prétendre en dresser un portrait exhaustif.
Il y a au total 450 entrées, synthèses de l’oeuvre d’autant de comédiens, metteurs en scène, directeurs de théâtre, scénographes et concepteurs issus de tous les horizons théâtraux. Pas d’auteurs, car on trouve déjà de l’information fiable à leur sujet dans la base de données du Centre des auteurs dramatiques. "On ne voulait pas brûler d’étapes, dit Michel Vaïs, directeur de la publication, même si l’objectif ultime serait d’achever un dictionnaire encyclopédique qui comprenne non seulement les artistes, mais aussi les compagnies, les lieux et des thèmes." Ce beau rêve, l’éminent critique le caresse depuis fort longtemps, et il n’est pas le seul. Rien de tel n’existe au Québec, malgré des tentatives répétées. Chaque essai s’est heurté à des problèmes d’organisation ou de financement, et l’élan a bien failli être freiné encore cette fois-ci.
Pas de surprise, c’est du côté du financement public que les plus grands obstacles ont surgi. Un projet de dictionnaire n’entre nulle part dans les critères d’attribution de subvention des ministères culturels, d’un palier de gouvernement à l’autre. Outre les sommes attribuées à l’éditeur Québec Amérique pendant l’étape finale, l’équipe de Jeu n’a récolté qu’une très mince somme du Conseil des Arts du Canada, et un montant quasi symbolique du Conseil des Arts de Montréal.
"Rien du gouvernement québécois, précise Vaïs. Il a fallu que des artistes parrainent des entrées et que Jeu puise à même son budget annuel de fonctionnement. Certains collaborateurs ont même accepté de rédiger des entrées de façon bénévole, alors que les autres ont été, il faut le dire, plutôt mal payés." Une oeuvre collective et solidaire donc, que 34 collaborateurs (critiques, professeurs, historiens et chercheurs dont les principaux sont Hélène Beauchamp, Patricia Belzil, Raymond Bertin, Claire Dé, Jean-Marc Larrue, Renée Noiseux-Gurik et Christian Saint-Pierre) ont rendue possible à coups d’enthousiasme et de conviction.
Le résultat est forcément subjectif, comme l’est d’ailleurs tout dictionnaire spécialisé, mais laisse volontairement une grande place aux auteurs, qui ont été invités à conclure leurs articles par un commentaire critique. "Ils se sont prêtés à un exercice difficile, explique Vaïs, celui de mesurer l’apport de ces artistes au théâtre québécois. C’était pour nous l’occasion de justifier nos choix, l’étape de la sélection ayant aussi été un processus long et déchirant."
Michel Vaïs sait bien que malgré la compétence de ses collaborateurs, certains choix feront sourciller. "Je souhaite qu’on puisse en débattre, dit-il, et que tout cela pave la voie à une prochaine édition, plus complète à tous les points de vue." Qui plus est, le directeur de l’ouvrage a l’impression de faire oeuvre historique. Ce dictionnaire est en effet le seul ouvrage unissant des artistes de toutes les époques du théâtre québécois, l’histoire n’étant publiée à ce jour que par bribes ou dans ses grandes lignes. Dans certains cas, la rédaction des entrées a ouvert de nouvelles pistes de réflexion chez leurs auteurs, et pourra certainement en allumer d’autres à la lecture. Sans doute le début d’une grande aventure.
ACTE DE RESISTANCE
Que raconte ce dictionnaire sur le théâtre québécois? Qu’apporte-t-il de neuf? Quel sera son impact sur l’élaboration d’une histoire théâtrale québécoise? Difficile à dire. À le parcourir, on voit se réaffirmer que notre théâtre est récent, qu’il rassemble des gens passionnés, souvent forcés de créer sans grands moyens et de diversifier leur pratique. On y découvre, entre autres, la variété de la formation reçue par les artistes, l’influence de la France dans notre pratique, le parcours de créateurs sous-estimés. Tout cela, dans une langue et un format accessibles, abondamment illustré de photos de scène. S’il demeure un objet embryonnaire dont l’utilité paraît floue, il serait inconvenant de ne pas applaudir l’initiative. Publier ce dictionnaire est presque un acte de résistance, qui permettra sans doute la réalisation de projets de plus grande envergure dans un avenir rapproché.