Nathalie Claude : Intelligence artificielle
Scène

Nathalie Claude : Intelligence artificielle

Avec Le Salon Automate, nouveau spectacle de la compagnie Momentum, l’auteure, metteure en scène et comédienne Nathalie Claude aborde le rapport de l’homme à la machine.

Un solo pour une actrice et trois automates, voilà ce qu’est Le Salon Automate. Nathalie Claude en convient, c’est une idée un peu folle. Il y a trois ans, le jour où elle s’est arrêtée devant une librairie pour consulter un livre sur les automates du début du siècle dernier, elle ne se doutait certainement pas qu’elle finirait par créer un spectacle sur le sujet. C’est pourtant ce petit livre qui est à l’origine de tout un processus de recherche-création, qui débute à Montréal par l’obtention d’une bourse en 2006, se poursuit avec une phase de recherches historiques en France, une résidence d’écriture à Toronto, et atterrit à Montréal cet automne après plusieurs mois à concevoir, avec Raymond Marius Boucher et Simon Laroche, des automates de taille humaine, rien de moins que des humanoïdes intellectuels.

"Les automates, rappelle la créatrice, ce sont de petits robots, des androïdes qui ont fait fureur entre 1850 et 1914 environ." Parce qu’elle est fascinée depuis toujours par "l’étrangeté des choses mécaniques qui parlent, la possibilité de faire bouger l’inanimé", elle a imaginé un personnage, une femme seule qui recrée chez elle, avec des automates, l’ambiance des célèbres salons littéraires parisiens. La comédienne s’apprête donc à endosser le rôle de cette hôtesse qui fait la conversation à trois robots singuliers: un poète dandy, une artiste de cabaret et une mécène assoiffée.

La compagnie Momentum, qui a toujours misé sur l’expérimentation et l’avant-garde, fait ici une première incursion dans un théâtre plus technologique, axé sur l’interaction entre l’humain et la machine. Pour la comédienne, c’est aussi une première. "J’avais très envie de travailler cette dimension, de confronter la présence de l’acteur à l’énergie d’un robot. Et je dois dire que c’est saisissant. Je suis seule sur scène avec ces robots, mais ils dégagent tout de même une sorte de présence, ils me regardent avec leurs yeux de vitre et ça me déstabilise, c’est assez troublant."

Il faut dire que Claude a voulu que ses automates se rapprochent le plus possible de l’apparence humaine. Ainsi, ils ont été soigneusement habillés par Judy Jonker et minutieusement maquillés et coiffés par Angelo Barsetti, un défi considérable pour ces artistes qui n’ont pas l’habitude de travailler avec des objets inanimés. Mais c’est d’abord par la voix que l’"humanité" des robots se déploie. Trois comédiens (Marie-France Lambert, Céline Bonnier et Patrice Coquereau) ont préenregistré des voix qui seront manipulées en direct pendant le spectacle. C’est par le contraste entre la voix humaine et le corps mécanique que le robot crée son plus grand effet, croit la comédienne.

Derrière ce travail technologique, il y a aussi la fascination de Claude pour les salons littéraires. "Oui, je crois que j’aurais vraiment aimé être de cette époque, confie-t-elle, j’aurais voulu prendre part à ces rendez-vous de grands esprits. Cet espace de discussion entre artistes et intellectuels, il me semble qu’il n’existe plus du tout aujourd’hui, et c’est très dommage." Décidément romantique, l’actrice dit s’être inspirée en particulier du salon de Natalie Clifford Barney, où sévissaient régulièrement Colette, Picasso, James Joyce et Claudel, par exemple.

"Les salons littéraires m’intéressent aussi à cause de la place très importante qu’y prenaient les femmes, alors que la communauté intellectuelle parisienne était dominée par les hommes." Mais plus que tout, le salon est un prétexte pour aborder le thème de la solitude. Il s’agit bien, dans ce cas-ci, d’une femme terriblement seule, qui tente de jouer le jeu social avec des machines, n’interagissant au fond qu’avec elle-même.

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PARCOURS EN SOLO

Nathalie Claude a été des plus grandes aventures de Momentum. Elle était notamment l’une des têtes chercheuses des Filles de Séléné et de La Fête des morts, des spectacles se déroulant dans des lieux non théâtraux. Également danseuse et chorégraphe, on a pu la voir dans diverses productions de Carbone 14, Pigeons International ou Brouhaha Danse. Mais c’est la forme du spectacle solo qui semble la stimuler tout particulièrement ces dernières années: elle en a créé cinq au total, dont le très acclamé Lapine-moi en 2005. Le Salon Automate marquera-t-il le début d’une série de solos sur le thème de la dualité acteur/machine? "Peut-être, répond-elle, mais il est trop tôt pour le dire, tout ça est tellement nouveau pour moi, je n’arrive pas vraiment à me détacher du moment présent." À suivre.