Sidi Larbi Cherkaoui : La voie de la guérison
Scène

Sidi Larbi Cherkaoui : La voie de la guérison

Après Foi, il y a cinq ans, un spectacle qui a profondément marqué le public montréalais, le Belge Sidi Larbi Cherkaoui est de retour avec Myth, une pièce pour 14 acteurs-danseurs-acrobates et 7 musiciens à nouveau accueillie par Danse Danse.

Le spectacle Foi était un huis clos dont les personnages étaient accompagnés d’anges. L’oeuvre était née d’un questionnement sur le sacré. Quatre ans plus tard, c’est la thématique de la guérison qui a donné naissance à Myth, et ce sont des ombres qui hantent cette fois les protagonistes sur scène.

"À 30 ans, j’avais envie de dépasser de vieilles blessures d’enfance et de grandir enfin, lance Sidi Larbi Cherkaoui en souriant. En creusant le concept de guérison, je suis tombé sur la mythologie. Ce que je trouve fascinant dans les mythes, c’est qu’ils racontent des histoires complètement invraisemblables, mais qu’ils renferment en même temps une vérité première sur la réalité humaine en montrant que tels ou tels types d’actions mènent à telles ou telles conséquences. Aussi, ils racontent l’histoire de l’humanité et font toujours référence à un trauma auquel on peut s’identifier. Or, la première étape de la guérison est de réaliser qu’on n’est pas le seul à souffrir."

Dans le décor imposant d’une bibliothèque, des âmes en peine attendent que le destin décide de leur sort. Tous excessifs dans leurs comportements, ces personnages très théâtraux incarnent des archétypes de la souffrance humaine. Autour d’eux dansent des ombres, reflets des forces de l’inconscient. "Elles sont manipulatrices, un peu comme dans le bunraku où des contrôleurs en noir manipulent des marionnettes géantes, précise le chorégraphe. Parfois, elles sont aussi psychologiques. Par exemple, si un personnage est malheureux, son ombre est heureuse, et il y a un ping-pong constant entre les deux émotions, car ce qu’on cherche dans le spectacle, c’est à faire un avec son ombre, à accepter son côté obscur et comprendre qu’on est constitué des deux côtés de la médaille. On peut aussi penser que tous ces personnages qui se battent entre eux sont coincés dans la tête d’une personne, ça arrive souvent. Je suis moi-même mi-belge, mi-marocain et homosexuel, et il y a beaucoup de parties de mon identité qui s’opposent."

Déjà présente dans Foi, cette quête de l’unité intérieure s’accompagne d’une recherche sur la meilleure façon d’être en relation. Et si la religion est si présente dans l’oeuvre de Cherkaoui, c’est qu’il cherche à en exalter l’étymologie (le terme vient de religare, qui signifie relier) au-delà de toutes les formes concrètes qu’elle a pu prendre. Dans cette perspective d’unité, le chorégraphe mêle les styles, les genres et les symboles en veillant à n’établir aucune hiérarchie entre les arts et les formes.

"Je pense que les sentiments et les idées peuvent s’exprimer de toutes sortes de façons et j’utilise les formes d’art ou de mouvement que je trouve les plus adéquates selon ce que je veux dire, commente celui qui invite l’Ensemble Micrologus à jouer sur scène des chants italiens et arabo-andalous du 12e siècle. Ensuite, j’essaye de trouver des combinaisons originales pour faire tourner les choses sur leur tête et essayer de les faire voir d’une autre manière, à l’envers." De quoi, peut-être, nous remettre les yeux en face des trous.

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UN PARCOURS ATYPIQUE

Né à Anvers et nourri de culture populaire pendant son enfance, Sidi Larbi Cherkaoui débute sa carrière comme danseur de variétés. À 19 ans, il découvre l’art contemporain, le travail de Pina Bausch et entre à l’école d’Anne Teresa de Keersmaeker. C’est la révélation: "Je découvrais que je pouvais utiliser mon cerveau et combiner mon désir de danser avec des problématiques sociologiques", se souvient-il. Repéré par le chorégraphe Alain Platel, il intègre le collectif des Ballets C. de la B., en 1997, et s’y bâtit une réputation internationale jusqu’en 2006, date à laquelle il quitte le nid pour devenir chorégraphe résident à la Toneelhuis d’Anvers. "Aux Ballets C. de la B., j’étais condamné à rester toute ma vie le plus jeune. À la Toneelhuis, je suis entouré d’artistes de ma génération, de disciplines très différentes et je suis le seul chorégraphe. Je m’y sens plus libre de créer à ma manière."