Vu d'ici : Chaînes de télé
Scène

Vu d’ici : Chaînes de télé

La nouvelle saison du Théâtre La Chapelle s’ouvre avec Vu d’ici, un vibrant appel à la dissidence.

Après avoir monté Yeats et Villiers de L’Isle-Adam, Christian Lapointe ne fait pas preuve de moins d’audace en osant porter à la scène la langue indomptable de son contemporain Mathieu Arsenault. Dans le parcours du jeune metteur en scène de Québec, à la tête du Théâtre Péril depuis le début du millénaire, Vu d’ici constitue néanmoins un virage. Pour une première fois, en effet, le créateur se penche sans ambages sur l’ici et maintenant.

Avec pour seule bouée une langue souveraine, une poésie pleine d’aspérités, un flux incessant, parcouru de violence et de sanglots retenus, le comédien Jocelyn Pelletier se lance tête première dans le tréfonds de cette jungle capitaliste et complaisante où nous vivons de manière plus ou moins consentante. Pour arriver au coeur du volcan, dans le ventre de la bête, la voie toute désignée était bien entendu la télévision, support et message de toute une vision du monde qui dégoûte souvent au plus haut point.

Métaphorique, cathartique et fondamentalement symboliste, comme l’était l’exceptionnel C.H.S., cette charge contre les dommages engendrés et cristallisés par la télévision, c’est le cri percutant de toute une génération abreuvée d’images, les revendications d’une génération cathodique (certains diront Passe-Partout) qui a cessé d’expérimenter et de ressentir, préférant, du moins c’est ce qu’elle a cru, voir et entendre. Heureusement, puisque le jeune homme qui s’adresse à nous est partie prenante de la situation qu’il décrit et qui le broie, l’entreprise évite la morale, la condescendance et le prêchi-prêcha.

Dans la scénographie de Jean-François Labbé, on trouve les emblèmes de ce mode de vie auquel nous tenons si férocement: des téléviseurs, un four à micro-ondes, un grille-pain, un fauteuil inclinable… Dans un panier d’épicerie surdimensionné, les essentiels du téléspectateur: pain en tranches, maïs soufflé, bâtonnets de poisson surgelés… Avec ces "accessoires", le comédien se livre sans retenue à une suite d’actions qui ne sont pas sans évoquer la performance.

Continuel crescendo, expérience indissociable de la musique pénétrante de Mathieu Campagna et des éclairages géométriques de Martin Sirois, la représentation est salissante, odorante, mais surtout profondément bouleversante, comme on voudrait que le théâtre le soit plus souvent, beaucoup plus souvent.

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