Wajdi Mouawad : Je est un autre
Scène

Wajdi Mouawad : Je est un autre

L’auteur, metteur en scène, mais aussi pour une rare fois interprète Wajdi Mouawad dévoile enfin son très attendu spectacle solo: Seuls.

En mars 2008, à l’Espace Malraux (scène nationale de Chambéry et de la Savoie), Wajdi Mouawad créait Seuls, un premier solo en plus de 15 ans de carrière (si on excepte Alphonse, en 1994, qui s’adressait aux enfants), une production Au carré de l’hypoténuse qui a bénéficié des bons auspices d’une foule de coproducteurs. Après avoir visité quelques villes françaises, l’auteur, metteur en scène, comédien et directeur artistique du Théâtre français du Centre national des Arts (Ottawa) s’apprête à dévoiler une oeuvre d’une rare intimité, atypique, un spectacle qui risque bien d’être déterminant dans le parcours d’un créateur déjà exceptionnel.

Mais quelle est donc la bougie d’allumage? Comment, après avoir dirigé des fresques de l’ampleur de Littoral, Incendies, Forêts et bientôt Ciels, le créateur en est-il arrivé à se lancer un défi pareil? "Le désir de faire un spectacle seul remonte à 1999. Je m’imaginais alors sur une scène nue, avec une chaise, et au-dessus de la chaise une corde, très bien fixée, avec au bout, un noeud coulant. J’expliquais au public que j’allais monter sur la chaise, placer la corde autour de mon cou, faire tomber la chaise et tenter de me tenir le plus longtemps possible avec les mains. Ensuite, je demanderais l’intervention d’un spectateur. Le reste de la représentation, je l’improviserais avec la personne qui serait montée sur scène."

Derrière cette envie pour ainsi dire irréalisable, une vision que l’on pourrait qualifier de fantasme théâtral, l’auteur comprend vite que quelque chose de fondamental se cache. "J’ai bien compris ce que cette idée signifiait en terme de danger, de risque. Je sentais bien qu’il y avait un autre sens, que c’était la pointe de l’iceberg, qu’il y avait autre chose derrière cette scène: ne jamais lâcher! C’est ce qu’on attend d’un artiste, c’est l’essence du geste artistique." En effet, cela cristallise l’une des obsessions du créateur d’origine libanaise: faire de l’acte théâtral un moment unique, loin du banal divertissement, un objet qui force le spectateur à réagir, à sortir de sa torpeur quotidienne. Avec Seuls, il semble que ce soit plus vrai que jamais.

C’est la vision d’une oeuvre de Rembrandt, Le retour du fils prodigue, qui a commencé à orienter le travail. Accueilli à Chambéry, Mouawad s’inspire de ce magnifique tableau vu au musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg, pour creuser des thèmes qui lui sont chers – l’exil, l’identité, l’enfance, la langue maternelle, l’appartenance à une culture… "J’avais très envie de me retrouver seul dans une salle de répétition. Rapidement, j’ai compris que ce désir était lié à quelque chose de très intime. Il ne pouvait s’agir que de moi. Je ne pouvais pas demander à un acteur de jouer pour moi dans des zones qui sont liées à l’enfance, à la langue arabe et à l’exil. Je ne pouvais pas lui demander de faire semblant de ne pas se souvenir de sa langue maternelle. Pas dans ce spectacle-là!"

RETROUVER L’AUTRE EN SOI

Harwan, un étudiant montréalais d’une trentaine d’années, sur le point de soutenir sa thèse, se retrouve, à la suite d’une série d’événements profondément banals, enfermé dans une nuit qui durera plus de deux mille ans et qui l’entraînera, sans qu’il puisse s’en douter et presque contre son consentement, au chevet de sa langue maternelle oubliée. Mouawad avoue que la création de Seuls avait essentiellement pour but de renouer avec lui-même.

"Ce que je peux dire, c’est que je ne suis plus tout à fait le même qu’avant d’avoir fait ce spectacle. Il y a une transformation, une attitude différente, un souci qui n’était pas là avant. Je ne peux plus revenir à ce que je faisais avant, à ce que j’écrivais avant. Ce solo m’aide à en finir avec le théâtre, à passer à autre chose. Je ne veux pas trop en dire, mais, concrètement, je fais tous les soirs dans ce spectacle ce que je vais avoir envie de faire plus tard. C’est un sentiment étrange, ça fait bouger beaucoup de choses."