José Navas : À coeur joie
Scène

José Navas : À coeur joie

Après sept années consacrées à des pièces de groupe, José Navas nous revient avec Miniatures, un spectacle solo à saveur autobiographique. Une occasion unique d’enter dans l’intimité d’un des chorégraphes préférés des Québécois.

À voir sa gestuelle si pure et sa technique si exigeante, on n’imagine pas que José Navas a rêvé d’être auteur de théâtre. Dernier-né des cinq enfants d’une famille modeste de Caracas, au Venezuela, il passe devant un studio de danse en allant prendre un cours de voix et c’est le coup de foudre. Dès le lendemain, il se mêle aux élèves. Il a 17 ans. Fasciné par son aisance, le directeur de l’école lui offre une gratuité totale à condition qu’il développe son talent en prenant trois cours chaque jour. Obsédé, le jeune homme suit quotidiennement deux classes de ballet, deux de techniques Cunningham et Graham, et il dévore des livres sur la danse. Il lui faudra pourtant un an avant d’oser faire sa "sortie" et avouer sa passion à sa famille et ses amis.

"Un samedi, ma mère a eu la surprise de découvrir mes affaires de danse dans mon linge sale, se souvient-il. Comme j’avais su à 11 ans que j’étais homosexuel et que je l’avais dit tout simplement, j’ai pensé que c’était ridicule de cacher que je voulais devenir danseur. Alors je l’ai annoncé à tout le monde. Mais, à l’époque, c’était comme dire que je voulais être astronaute: au Venezuela, la danse était une chose très étrange, réservée à un petit groupe de bourgeois." Très vite, conscient qu’il n’a aucun avenir dans son pays natal, Navas s’envole pour New York. Il a 200 $ en poche et le numéro de téléphone d’un contact latino. L’espace, l’architecture, la foule, la diversité… tout le séduit dans cette ville où il a le sentiment d’enfin venir au monde.

DU TALENT ET DE LA CHANCE

À peine arrivé, le jeune artiste s’inscrit au Merce Cunningham Studio et participe à une audition pour Lucinda Childs, histoire de sentir l’atmosphère. Quand ils ne sont plus que trois en lice sur plusieurs centaines de candidats et que la grande chorégraphe vient lui serrer la main, il ne comprend pas un mot de ce qu’elle lui dit mais il sourit. Il apprendra l’anglais au sein de la compagnie dans laquelle il vient d’être engagé et qui lui permettra de découvrir l’Europe.

À l’époque, le créateur n’a pas vraiment conscience de ce talent que les autres décèlent au premier coup d’oeil. "Je n’ai jamais été très sûr de moi, avoue-t-il. J’ai été éduqué dans l’idée qu’il fallait travailler très fort et que le succès, c’était pour les autres. Alors quand j’ai eu ce contrat à New York, je m’imaginais que c’était pareil pour tout le monde. C’est beaucoup plus tard que je me suis rendu compte de la chance que j’avais eue."

En 1991, Navas choisit de s’établir à Montréal. Il suit son amoureux, le chorégraphe canadien William Douglas, qui, frappé par le sida, souhaite se rapprocher de sa famille. Là, ils continuent de travailler ensemble et remportent un prestigieux Bessie Award pour le solo While Waiting. Quand la mort les sépare, Navas a déjà fait ses premiers pas de chorégraphe, grâce à Dena Davida, qui a fondé Tangente quelques années plus tôt. Il a aussi eu la chance de présenter sa première pièce au Pays-Bas et de connaître un beau succès en Europe.

"C’était un spectacle très baroque, dramatique, androgyne, très espagnol avec plein de passion et beaucoup d’information au niveau du mouvement, raconte-t-il. C’était très bien écrit et je dansais avec une technique très épurée. À cette époque, un petit Latino qui dansait bien, ça suscitait la curiosité et tous les festivals ont commencé à m’inviter." Dès lors, Navas est sollicité par toutes sortes de compagnies, parmi lesquelles Montréal Danse et par b.l.eux (Benoît Lachambre), en plus de multiplier les collaborations fructueuses au cinéma.

CRISES FINANCIERE ET EXISTENTIELLE

Surfant sur la vague du succès, le chorégraphe fonde sa propre structure, Compagnie Flak, en 1995, mais il doit patienter jusqu’en 1999 pour pouvoir s’offrir un studio. Aujourd’hui âgé de 43 ans, il affiche près de 30 créations à sa feuille de route, reçoit une subvention pour le fonctionnement de sa compagnie, mais il bataille toujours pour joindre les deux bouts. Il n’est capable de salarier que son équipe administrative, alors que des danseurs à plein temps lui permettraient d’approfondir sa recherche et de donner vie à toutes les oeuvres qui bouillonnent en lui.

En 2005, la pièce Portable Dances avait marqué un retour vers le formalisme, la recherche du mouvement pur. Le choix de l’abstraction et de la sobriété de la scénographie avait d’ailleurs été motivé, entre autres, par le manque de moyens financiers qui nourrit les angoisses du chorégraphe et ses questionnements. "Je me pose beaucoup de questions sur l’utilité de mon travail et je me demande s’il y a un futur pour cette discipline ou si elle va disparaître, devenir un objet curieux mais pas forcément en demande, se lamente-t-il. C’est toujours difficile d’avoir un public, d’avoir des salaires, d’organiser des tournées, et il y a encore des gens qui ne savent pas ce qu’est la danse contemporaine ou qui me regardent d’un air perplexe quand je dis que je suis chorégraphe."

Puis, d’un même souffle, le créateur ajoute: "Est-ce que je lance un cri au monde et qu’il y a un grand silence autour? Avec Miniatures, j’essaye un peu de trouver une réponse à cette question. Le grave problème de la création, c’est qu’on donne tout et qu’on s’attend à changer le monde. Pourtant, quand le travail est présenté, ça fait du bruit, mais la vie continue et on ne sait pas si les gens ont été touchés."

Comment donner une assise à la danse contemporaine, comment lui donner les moyens de se développer plutôt que de végéter comme elle le fait depuis sa naissance au Québec, et comment donner aux artistes la possibilité de se consacrer totalement à leur art? Ces questions fondamentales, qui tourmentent l’ensemble de la communauté, seront très certainement au coeur des États généraux de la danse, en avril 2009. Espérons que d’ici là, les nouvelles du monde économique seront moins alarmantes et les politiques culturelles en vigueur au pays, plus rassurantes.

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HISTOIRES D’AMOUR

Love Songs était le titre original de Miniatures, série de sept solos inspirés d’histoires d’amour et de désir vécues intensément, qu’elles aient duré une nuit, quelques jours ou des années. Évidemment, l’âme de William Douglas plane sur cette oeuvre très personnelle où José Navas ne cherche pas à pousser sa recherche chorégraphique, mais s’offre simplement la joie de danser et de nous émouvoir sur un répertoire de musiques qui lui sont chères: Bach, Bellini, Chopin, Debussy, Gershwin, Vivaldi et la Mexicaine María Grever. "Le premier solo est chorégraphié à la manière de William. C’est très carré, très technique, très logique. Il était architecte et avait un côté très cartésien, je sais que ça lui aurait plu."

Placer cette pièce en ouverture est une façon pour Navas de convoquer la chance, avant d’entrer dans des zones plus personnelles. Parmi celles-ci, un clin d’oeil malicieux à la culture gaie avec une section chantée par Judy Garland, ou encore un hommage à son vieux père qui lui a transmis son amour de la musique et de la danse en lui apprenant à danser la salsa dans leur salon, quand il était petit garçon, pour qu’il devienne bon citoyen.

Mais Miniatures, c’est aussi un hommage à la danseuse Risa Steinberg, qui transforma sa vie en lui donnant le goût d’être un danseur soliste. "Elle faisait des choses simples mais qui me touchaient profondément, explique-t-il. La première fois que je l’ai vue, elle dansait des solos d’Anna Sokolov et d’Isadora Duncan exactement avec la technique et l’esprit des chorégraphes. L’idée n’était pas d’être plus postmoderne que les postmodernes, mais de simplement faire un spectacle de joie. Après Portable Dances et Anatomies, c’est ce que j’ai eu envie de faire: partager simplement de la bonne musique, de la belle danse, de la poésie, un esprit."