Marc Marans : Changer de trajectoire
Marc Marans signe le texte et la mise en scène de Plate-forme, la première création en français d’Octo Productions, un texte qui aborde l’inertie et l’instinct de survie.
Chose rare dans le paysage théâtral montréalais, Octo Productions est une compagnie bilingue. Des cinq membres fondateurs, ils sont pourtant quatre francophones purs et durs (Marc Marans, Julie Deslauriers, Jean-Philippe La Couture et Vincent Leclerc). Mais, parler avec amour la langue de Molière ne les empêche pas de se plaire dans la langue voisine; ils travaillent depuis toujours dans les deux langues et ont naturellement uni leurs destinées à celle de Brian Wright, un acteur anglophone totalement francophile.
Après True West, de Sam Shepard, qui a ravi la critique anglophone en 2006, la compagnie présente ces jours-ci un premier spectacle en français, le tout premier texte de Marc Marans, qui signe aussi la mise en scène. "J’avais envie de parler de l’inertie, dit-il, de la résistance au changement que nous vivons tous à différents moments de nos vies, et à différents degrés." La pièce, dont l’écriture s’est échelonnée sur près de trois ans, raconte l’histoire de Serge (Vincent Leclerc), un comptable désespéré qui veut mettre fin à ses jours. Sur le toit de l’édifice duquel il comptait se jeter, il rencontre Steve (Stéphane Franche), un laveur de vitres un peu renfrogné mais fondamentalement épicurien, qui le confronte à son naturel instinctif et modifie sa perception de la réalité, "tel un deus ex machina qui apparaît soudainement pour le sauver", ajoute en riant le jeune auteur.
Ainsi, l’inertie, "synonyme d’immobilité, mais aussi, selon les théories de Newton, de mouvement rectiligne uniforme, est déviée de sa trajectoire par une force extérieure", explique Marans, qui a beaucoup lu sur la mécanique newtonienne avant de se lancer dans l’écriture. "Les deux dimensions du principe d’inertie s’appliquent à Serge, lui qui est englué dans une vie qu’il n’a jamais aimée et qui, s’il ne bouge pas, va mourir à petit feu. Steve fait renaître en lui l’instinct de survie."
Outre cette métaphore scientifique et l’idée de situer l’action dans les airs, sur une plate-forme oscillant vertigineusement entre les étages supérieurs d’un gratte-ciel, la pièce demeure essentiellement réaliste, écrite dans une langue quotidienne et directe. "J’ai quand même voulu écrire un texte ouvert, précise Marans. Je voulais que plusieurs niveaux de lecture soient possibles. J’ai essayé de cultiver des ambiguïtés, je voulais que le personnage de Serge devienne graduellement plus énigmatique, que le texte touche à l’intemporel, qu’il décolle légèrement du réalisme, par petites touches d’onirisme."
La pièce, du moins, a suscité un foisonnement d’interprétations pendant une série d’ateliers dramaturgiques orchestrés, en 2006, par le Centre des auteurs dramatiques, de même qu’elle a attiré l’attention d’un festival de théâtre à Rome, où elle fut traduite et présentée en lecture publique. À notre tour de découvrir cette nouvelle parole.