Mario Borges : Temps de crise
Mario Borges réalise un vieux rêve en signant l’adaptation et la mise en scène de La Peste d’Albert Camus.
Mario Borges songeait à adapter La Peste depuis près de 10 ans, non sans hésiter, un peu effrayé de s’attaquer à une oeuvre aussi dense. Jusqu’à ce qu’une amie lui mette entre les mains l’adaptation de Francis Huster, matière première d’un solo acclamé en France dans les années 90. Borges a aimé ce monologue un peu intello, mais ce dernier a surtout déclenché en lui l’impulsion créatrice. Il allait enfin se mettre au travail.
Avec les comédiens Marie Codebecq, Stéphane Jacques, Renaud Paradis, Sylvain Massé, Jean-Marie Moncelet et Joachim Tanguay, le metteur en scène est sur le point d’offrir au public adolescent de la Salle Fred-Barry sa relecture du classique de Camus. "J’ai laissé tomber d’emblée le monologue, explique-t-il, parce que je n’aimais pas cette idée d’un narrateur qui se distancie de l’histoire qu’il raconte. Cette pièce n’est pas strictement cérébrale, elle présente d’abord des rapports humains, il fallait l’ancrer dans l’action et l’interaction."
Le créateur a donc abandonné le style neutre et l’objectivité caractéristiques de l’écriture de Camus, et fait le choix, inévitable au théâtre, de dévoiler dès le départ l’identité du narrateur (qui est dissimulée jusqu’à la fin dans le roman). "Mon texte est même écrit du point de vue du docteur Rieux, qui revient sur les lieux après la peste pour enregistrer ses souvenirs sur magnéto. Il ne veut surtout pas oublier ce qui s’y est passé. La prémisse de mon spectacle, c’est le devoir de mémoire."
Sur la scène dépouillée, l’espace et le temps vont alors basculer et faire revivre les autres personnages du roman. "On utilise la vidéo pour créer des images-chocs, comme un détonateur qui fait surgir le souvenir et l’émotion et nous projette dans des séquences du passé. J’ai construit le texte de cette manière un peu cinématographique, en imaginant des allers-retours fréquents entre le passé et le présent."
Borges voulait ainsi dynamiser la scène, mais cette structure narrative permet de sortir Rieux de sa solitude et d’exposer ses rapports avec les autres personnages. "Rambert, Joseph Grand, La Mère et Tarrou représentent aussi des facettes de lui-même, et c’est lorsqu’il se retrouve seul qu’il y est confronté. On a souvent abordé la dimension psychologique de ces personnages, mais je les vois aussi comme des archétypes, ajoute-t-il. Il y a l’idéaliste, le contemplatif, le guerrier, ils sont d’abord des gens d’action."
Et, au final, le metteur en scène voudrait qu’on retienne leur grande solidarité et leur humanisme. "Oui, je vois cette pièce comme un appel à l’engagement. On a du mal à se projeter hors de notre sphère individualiste, et je crois qu’il faut brasser la cage. Qu’il soit de nature politique, humanitaire ou morale, l’engagement est le thème principal de La Peste, et j’espère que le jeune public de Fred-Barry y sera sensible."