Andrée Lachapelle : Douée pour le bonheur
Scène

Andrée Lachapelle : Douée pour le bonheur

Andrée Lachapelle endosse, sous le regard bienveillant de l’un de nos plus grands metteurs en scène, André Brassard, l’angoisse et la détermination de Winnie, l’héroïne d’Oh les beaux jours, de Samuel Beckett.

Le spectacle Oh les beaux jours, une production Espace Go de passage au Centre national des Arts, conjugue le talent de la comédienne Andrée Lachapelle, le savoir-faire du metteur en scène André Brassard – dont la dernière réalisation scénique remonte à 2003 – et l’un des chefs-d’oeuvre de Samuel Beckett. C’est ce qu’il est convenu d’appeler une rencontre au sommet.

En fait, il s’agit plus précisément d’un rêve… devenu réalité. Essentiellement le rêve de Brassard. En effet, c’est d’abord lui qui a imaginé Andrée Lachapelle dans la peau de la mythique Winnie de Beckett. Puis la comédienne a fini par accepter le défi. "J’avais vu la pièce à quelques reprises, explique la comédienne, notamment dans la mise en scène de Roger Blin, avec Madeleine Renaud; et celle de Brigitte Haentjens, en 1990, avec Sylvie Drapeau. Mais je ne l’avais jamais lue. Quand j’ai lu la pièce, avec toutes les didascalies, je me suis demandé ce que j’étais allée faire là. Mon Dieu, serais-je capable d’apprendre tout ce texte?"

En effet, la chose n’est pas simple. Pas parce que la pièce créée en 1963 est très longue, mais bien parce qu’elle est truffée de didascalies, des indications scéniques d’une précision peu commune, comme Beckett en avait le secret; une partition de temps et de gestes presque aussi importante que le texte lui-même. Tout cela, il faut en convenir, n’est pas évident à mémoriser, surtout quand on a l’âge vénérable de 76 ans.

RETROUVER BRASSARD

Mais le désir de recroiser le fer avec Brassard est si grand que la comédienne accepte de se mesurer à un autre grand rôle. "Je voulais travailler à nouveau avec André. Je trouvais ça important pour moi. Chaque fois, c’est une grande joie, un grand bonheur. Il m’a toujours obligée à faire des choses très différentes." En effet, Brassard n’a jamais été homme à fréquenter les sentiers battus. Depuis quelques années, la maladie l’a forcé à ralentir ses activités, pour ne pas dire à quitter la scène.

Quand on demande à la comédienne, qui a commencé sa carrière en 1950, si Winnie sera son dernier grand rôle – parce qu’une rumeur en ce sens a circulé -, elle apporte quelques nuances. "Je ne veux pas dire que ce sera le dernier, parce que si jamais je change d’idée, je vais avoir l’air ridicule. Cela dit, ce genre de texte, aussi exigeant, c’est la dernière fois, ça c’est sûr. Je ne vais pas aller jusqu’à 80 ans à faire des trucs pareils!"

DECOUVRIR LES NUANCES

Une sonnerie stridente perce le calme d’un jour naissant. Winnie se réveille, son corps enterré jusqu’au-dessus de la taille dans un monticule de sable. Peu importe, Winnie ne se plaint jamais. Pour conjurer le vide d’une vie immobile, elle se lave les dents, fouille dans son sac, en sort des objets familiers, ouvre une ombrelle pour se protéger du soleil, fredonne un air ancien et évoque des souvenirs du passé. Parfois, son mari Willie (incarné par Roger La Rue) laisse aller quelques grognements.

La pièce de Beckett aborde nos peurs les plus viscérales: la mort, la vieillesse, les habitudes, la monotonie du quotidien, la transformation du corps, l’effritement du désir, des capacités physiques et intellectuelles…

"Finalement, explique la comédienne, à force d’entrer dans le texte, que je pensais au début beaucoup plus dramatique, beaucoup plus sombre – l’histoire d’une femme qui s’enfonce dans la terre! -, à force de le lire, de l’apprendre, j’ai découvert tout le personnage, toutes les nuances, son humour, son sens incroyable de la dérision. Elle se moque d’elle-même, et aussi de Willie, ce qui me plaît beaucoup parce que ça apporte des couleurs très différentes."

OFFRIR DE LA RESISTANCE

Ainsi, le texte acquiert toujours plus de sens pour la comédienne, comme pour le metteur en scène, victime d’un AVC il y a huit ans. "À cause de ce qui lui est arrivé, ce texte-là touche tout particulièrement André, explique Lachapelle. Il sent tout ce que Winnie sent. Ne plus pouvoir marcher comme il le voudrait, être dépendant des autres… tout ça le met en colère et il veut que ça passe dans le spectacle, dans la manière dont je dis le texte, c’est-à-dire avec une dérision face à Dieu."

Selon Brassard, Oh les beaux jours raconte l’histoire d’une résistante qui dit à son Créateur: "Non! Tu m’auras pas, mon tabarnac!" Andrée Lachapelle, qui vit avec Winnie "jour et nuit depuis janvier", partage, en d’autres termes, cette vision. "Winnie sait bien que rendue où elle en est rendue… ça achève. Mais, avant, il y a tout ce qui se passe dans sa tête, tout ce qui a eu lieu avant, autrefois, et maintenant. Elle est perdue, elle perd les mots, elle crie, elle se fâche… mais, toujours, elle se bat pour continuer à penser. C’est une battante, jusqu’à la toute fin!"