Fred Pellerin / L'Arracheuse de temps : Le temps des pommes
Scène

Fred Pellerin / L’Arracheuse de temps : Le temps des pommes

Avec L’Arracheuse de temps, Fred Pellerin propose une veillée sous le grand pommier caxtonien, dont les fruits donnent tantôt la vie, tantôt la mort.

Connaissez-vous beaucoup d’artistes qui savent, en quelques bouts d’histoires et quelques notes, ramener les dimensions d’une salle de 800 places à celles d’un chalet, d’un camp en bois rond? Il y en peu, on est d’accord. C’est pourtant ce à quoi ont assisté les spectateurs présents le 14 octobre à la première montréalaise du nouveau spectacle de Fred Pellerin, L’Arracheuse de temps, dans un Monument-National qui n’a jamais senti à ce point le feu de bois et la tarte aux pommes.

Je parle bien sûr de cette tarte aux pommes que Méo le coiffeur prépare chaque fin de semaine, durant son bref épisode de sobriété hebdomadaire, et qu’il assaisonne tant que le lendemain, Saint-Élie-de-Caxton au complet sent la cannelle. Le même Méo qui un jour, voulant connaître l’heure exacte de sa mort, ira s’adresser à la Stroop – dont le surnom vient de l’amalgame fait un jour par le facteur, qui faisait sauter la ponctuation sur les enveloppes adressées à Madame S. Troop… Cette dernière, au coeur des nouvelles histoires de Pellerin, a en effet des pouvoirs de divination et autres, dont la capacité à repousser la mort n’est pas le moindre. Peu après, c’est le forgeron qui lui rendra visite, voulant soustraire sa fille chérie, Lurette, à la mort qui rôde autour, en personne… Chacun consulte en cachette cependant. On ne va pas voir une sorcière au grand jour!

"Le tact dans l’audace, c’est de savoir jusqu’où l’on peut aller trop loin", a dit un jour Jean Cocteau. En la matière, Fred Pellerin a un tact infini. Avec toute l’insolence de son talent, son sens inné de l’exagération, avec le côté parfois un peu brouillon de son élocution transformée en outil de langage, et avec cette voix si juste et si émouvante qui s’élève ça et là durant le spectacle, le temps d’une chanson de Willie Lamothe ou Jim et Bertrand, le conteur nous fait avaler l’improbable et habite complètement l’espace, aussi large soit-il. Soulignons tout de même qu’il a atteint avec cette cuvée la dose d’humour à ne pas dépasser, sans quoi c’est au Gala Les Oliviers qu’il va rafler ses prochains prix. L’Arracheuse de temps est en effet drôle à s’en décrocher la mâchoire, malgré le fait que la mort en soit le thème premier.

Reste peut-être à resserrer un brin l’envolée finale, d’une belle gravité mais encore un peu frêle, et cette quatrième mouture de la folie Pellerin sera bel et bien un fruit mûr, à consommer sans modération.

À voir si vous aimez /
Michel Faubert, Jean-Marc Massie