Harold Rhéaume : Mis à nu
Scène

Harold Rhéaume : Mis à nu

Si Harold Rhéaume se dévoile dans Nu, nul besoin pour autant de dénuder ses interprètes. Pour voyeurs de l’âme seulement.

"C’est sûr qu’il y a un petit clin d’oeil à toute la nudité qu’on voit en danse contemporaine", explique d’emblée le chorégraphe Harold Rhéaume lorsqu’il parle du titre de sa nouvelle création, Nu. Qu’on le veuille ou non, la nudité est à ce point associée à la danse moderne qu’elle en est devenue une manifestation stéréotypée, une réalité qui agace quelque peu le créateur: "Être nu sur scène, c’est devenu un costume, une marque de commerce. Alors que ça pouvait être original la première fois, maintenant, c’est presque banal. Et personnellement, je ne trouve pas que c’est justifié, sauf dans quelques rares exceptions…"

DÉVOILER SANS DÉNUDER

Cela n’empêche pas celui qui a connu un succès populaire avec Le Fil de l’histoire, une création in situ dans les rues de Québec, d’aborder le thème du dépouillement dans sa pièce. Mais là où certains utilisent le contenant, Rhéaume préfère le contenu. "Quand tu as quelqu’un de complètement nu devant toi, il est à la fois vulnérable et authentique, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’artifice. On est tous égaux devant la nudité, on ne peut pas se cacher… C’est cette idée que j’ai voulu exploiter." Quant au titre, il s’est imposé de lui-même: "Nu, c’est un mot dépouillé; il n’a que deux lettres et si tu le vires à l’envers, ça fait un, la plus simple expression de l’individu, de l’être dans ce qu’il est", complète-t-il.

Sur scène, quatre interprètes (Marilou Castonguay, Alan Lake, Alexandre Parenteau et Arielle Warnke St-Pierre) évoluent seuls, en duo ou en quatuor. Ils se cherchent, se rapprochent, s’éloignent. Une façon d’exploiter par la gestuelle les marées et bourrasques intérieures qui nous animent tous. "Nu, c’est les relations humaines dans ce qu’elles ont de plus beau et de plus déchirant à la fois, ce sont les corps en constante recherche de l’autre, avec comme résultat un univers vraiment étrange, physique, où les corps sont très articulés, au point où ils deviennent presque des mutants. C’est une danse de l’intérieur", résume le créateur.

Les interprètes entreront sur scène "surhabillés" pour se dévêtir peu à peu, comme une carapace qu’on enlève; une autre façon pour le chorégraphe de suggérer la nudité sans la dévoiler. "Au sens figuré, c’est une mise à nu, comme si les danseurs, par le geste d’enlever un vêtement, dévoilaient des facettes d’eux qu’on ne montre pas nécessairement dans la vie de tous les jours, poursuit l’artiste. Alors que la danse a un côté beaucoup plus formel au commencement, à mesure que les vêtements s’enlèvent, le mouvement et la façon de danser changent, ce qui fait qu’on accède à l’émotif."

SUIVRE LE FIL

Harold Rhéaume a connu la consécration populaire cet été, alors que quelque 5000 personnes se sont déplacées le long du Fil de l’histoire dans les rues de Québec. Un fait rarissime en danse contemporaine, mais qui sied bien au créateur, qui a toujours fait de l’accessibilité une de ses batailles de front au sein de sa compagnie Le fils d’Adrien danse. "C’était presque la folie, tout le monde voulait son petit bout de fil, se rappelle-t-il. Les témoignages que j’ai eus après le spectacle, c’est incroyable; les gens voulaient absolument me dire à quel point ils avaient été touchés, me raconter que c’était leur première expérience de danse contemporaine, qu’ils ne savaient même pas que ça existait…"

Un succès à double tranchant, car dans l’intimité du studio, l’artiste s’est mis à craindre de décevoir ceux qui viendraient voir Nu après avoir été charmés par Le Fil de l’histoire. "Oui j’ai ressenti un peu de pression au début, parce que je me suis dit: "Les gens ont tellement aimé l’aspect accessible du Fil, ils vont s’attendre à voir quelque chose de similaire." Mais bon, chaque projet a son cadre et Le Fil, c’était un projet particulier, extérieur, avec un côté très festif… Tandis qu’avec Nu, je replonge dans ma "quête", ce qui me pousse à créer. Il faut que ça vienne d’en dedans et que ce ne soit pas seulement fait pour plaire, parce que sinon on risque de se perdre."

Malgré les différences, un fil conducteur relie chacune des créations d’Harold Rhéaume. Et même si sa démarche évolue, certaines constantes demeurent. Sa dernière création studio, Clash!, se distinguait par sa vivacité, son humour et son côté très extraverti, alors que Nu, au contraire, mise sur l’intériorité et la sobriété. Deux extrêmes du même spectre qui se rejoignent pourtant dans leur construction, explique Rhéaume: "Clash! était construit comme un kaléidoscope, en tableaux, et j’ai continué dans la même veine avec Nu. Parce que je trouve que souvent, en danse contemporaine, on va travailler sur une scénarisation qui est très monocorde, ce qui fait qu’on étire la sauce. Je préfère travailler en tableaux: j’ai une idée, je suis allé au bout? – parfait, on passe à une autre idée et ainsi de suite. Ça permet de contrer l’ennui et ça évite au spectateur d’être pris en otage pendant une heure avec une seule proposition…"